Acheter une LANCIA Aurelia B20
Gilles Bonnafous le 28/03/2003
Sobriété, efficacité, performance : tout dans la Lancia Aurelia B 20 traduit les qualités qui ont inspiré sa conception.
Un chef-d'œuvre technique
La B 20 est née de la cuisse de Jupiter. Elle dérive en effet de la berline Aurelia B 10, un chef-d'œuvre dû au grand ingénieur Vittorio Jano, qui allait marquer l'histoire de l'automobile — une habitude chez Lancia, avec notamment la Lambda. Doté du nouveau moteur de deux litres et d'un empattement raccourci de vingt centimètres (2,66 mètres) par rapport à la B 10, le coupé B 20 fait ses débuts au salon de Turin de 1951 — soit un an après la berline.
Si la carrosserie originale a été créée par Ghia sur un dessin de Mario Boano, c'est le carrossier Viotti qui réalise les 98 premiers exemplaires. Le modèle est ensuite repris par Pinin Farina, qui apporte un certain nombre de retouches pour donner à la voiture son allure définitive et en faire un grand classique du design italien. Pinin Farina en assure alors la fabrication, avant d'apporter de nombreuses modifications tout au long de la carrière de la B 20. La carrosserie se compose d'une centaine d'éléments soudés à la plate-forme, fournie par l'usine, pour former une coque autoportante. Un procédé de fabrication complexe et onéreux !
Au cours de ses sept années de vie, la B 20 connaîtra six séries successives, sans parler du magnifique spider dérivé, le B 24. Le moteur de la première série (500 exemplaires) diffère peu de celui de la berline dans sa version de deux litres (B 21) lancée en même temps que la B 20 : la puissance est portée à 75 ch grâce en particulier à deux carburateurs Weber (vitesse de 160 km/h). La voiture se reconnaît notamment à ses minuscules feux arrière.
Outre un look plus agressif et une puissance portée à 80 ch, la deuxième série bénéficie d'une tenue de route améliorée grâce à une garde au sol abaissée de cinq centimètres. Baptisée B 20-2500 GT, la troisième série reçoit en 1953 la nouvelle version du V6, dont la cylindrée a été portée à 2,5 litres.
L'expérience acquise en compétition permet d'aboutir en 1955 à la version considérée comme la mieux réussie de toutes les Aurelia, la quatrième série. Par ailleurs, le modèle est désormais disponible avec la conduite à gauche (avec le suffixe S pour sinistra). Avec la cinquième série lancée l'année suivante, l'Aurelia GT va perdre de son brio. La modification des culasses ramène la puissance à 110 ch, tandis que la voiture prend quelques dizaines de kilos supplémentaires. La B 20 retrouvera un peu de sa superbe avec la sixième et dernière série, aisément identifiable à ses portières munies de déflecteurs.
La première victoire remportée en compétition par une Aurelia est à mettre au crédit d'une berline B 10 engagée au rallye de Sestrières en 1951 — et pilotée par Ascari et Villoresi. Pas moins ! La brillante carrière sportive de la B 20 commence par un exploit réalisé aux Mille Milles de 1951. La voiture termine à la deuxième place derrière la Ferrari 340 (cylindrée de 4,1 litres) de Villoresi !
A partir de 1952, l'usine crée une série spéciale de B 20 Da Corsa, qui marque du reste les débuts officiels de la Scuderia Lancia. Pilotée par Luigi Fagioli, une B 20 fait sensation aux Mille Milles en prenant la troisième place devant la Mercedes 300 SL de Caracciola. Excusez du peu ! Avant de remporter la Targa Florio aux mains de Bonetto. La même année, des B 20 prennent part aux 24 Heures du Mans et à la Course Panaméricaine. Deux ans plus tard, au volant d'une voiture équipée du moteur de 2,5 litres, Louis Chiron remportera le rallye de Monte-Carlo.
Design
Au premier coup d'œil, l'Aurelia B 20 frappe par la qualité exceptionnelle de son design. L'économie de moyens et le souci d'aller droit à l'essentiel conduit au dépouillement des lignes et au refus de toute concession à quelque effet flatteur. A la fois austère et d'une rare élégance, le style puise sa force dans une sorte de volupté de la rigueur, où l'on perçoit un mélange de passion et d'humilité mises au service d'une cause, celle de la performance.
A l'image de la poupe, dont la sensualité des courbes s'accompagne d'un trait d'une grande sobriété qui leur confère, dans un paradoxe qui n'est qu'apparent, une beauté stricte, voire sévère. Cet arrière fastback de berlinette, à l'épure ramassée, fait écho à une face avant dont l'absence de porte-à-faux ajoute à la frontalité abrupte.
Si la hauteur de la ceinture de caisse, et l'étroitesse consécutive des vitres latérales, datent le design, les imposantes jantes de 15 pouces crédibilisent l'allure féline de la B 20. Ces traits dominants donnent à l'Aurelia sa ligne exceptionnellement racée et son attachante personnalité, qui font de ce dessin un classique de l'automobile. Et sans doute la Lancia la plus mythique et la plus désirable pour les passionnés de la marque.
Mécanique
Première berline au monde à recevoir en 1950 un moteur V6, la berline Aurelia a offert à la B 20 cette mécanique, dont l'angle peu ouvert (60°) permet d'obtenir un ensemble très compact. La voiture que nous vous présentons ici, une quatrième série (la meilleure), hérite de la version du V6 inaugurée sur la troisième série, dont la cylindrée a été portée à 2,5 litres. Grâce à un nouveau bloc et à une nouvelle culasse, la puissance passe à 118 ch, ce qui permet à la voiture d'atteindre la vitesse de 185 km/h.
Le propre de ce V6 est d'être à la fois souple et pointu. Ne rechignant pas aux reprises à très bas régime (1500 tours en quatrième), il ne manifeste sa puissance qu'à partir de 3500 tr/mn, soit dans la zone du couple. Mais la cavalerie s'exprime pleinement au-delà de 4000 tours. Quant à la musique de cette mécanique, c'est de l'extérieur que l'on goûte sa superbe sonorité, à la fois rageuse et ouatée, qui s'exprime au sortir de son double échappement. Un enchantement...
Le moteur ne constitue pas le seul intérêt technologique de la B 20. La voiture est également équipée d'une boite-pont, une innovation due à Vittorio Jano qui l'avait déjà appliquée en 1936 à une monoplace Alfa Romeo à moteur V12. Dans cette technique, la boîte de vitesses à quatre rapports est accolée au pont arrière dans le but d'offrir une meilleure répartition des masses. Signalons que l'embrayage est également collé à la boîte-pont.
Bien étagée (mais la première n'est pas synchronisée), cette boîte de vitesses permet de solliciter efficacement les faciles montées en régime du moteur. Seule la quatrième manifeste une indiscrétion certaine par un grincement récalcitrant, surtout si le régime n'est pas suffisamment élevé.
La B 20 de quatrième série est enfin dotée d'un essieu arrière rigide de type de Dion. Jusqu'alors très survireuse, la voiture jouit maintenant d'un comportement plus stable et plus neutre.
Une voiture au riche passé
La B 20, qui nous a été confiée, une quatrième série, est d'autant plus remarquable qu'elle porte sur sa peinture (d'origine) les nobles rides d'un passé riche et connu. Son histoire commence en mai 1955 aux mains de Roger Crovetto, négociant en spiritueux et importateur pour la France de la marque Cinzano, qui en fait l'acquisition pour courir. Car notre spécialiste du vermouth est aussi un passionné de compétition automobile, au point de remporter en 1951, associé à Trévoux, le 21e rallye de Monte-Carlo au volant d'une Delahaye 175. Par contre, on sait peu de choses sur d'éventuelles participations de la B 20 à des compétitions. La voiture passera ensuite entre des mains qui sauront la préserver, jusqu'à ce que son actuel propriétaire la remarque dans une vente aux enchères en 1987, et en fasse l'acquisition peu de temps après.
Outre son bel état, B 20 présente la particularité d'une préparation Nardi qui en fait un exemplaire rare et original. Cette modification, réalisée à la sortie d'usine, affecte aussi bien sa mécanique que son aménagement intérieur. Le moteur reçoit un arbre à cames spécial et des pistons forgés, ainsi qu'un allumeur Scintilla Vertex. Mais le carburateur est le Weber double corps du modèle standard. La puissance ainsi obtenue est évaluée à 125 ch, soit une dizaine de chevaux supplémentaires.
Hormis sa mécanique, la voiture est strictement dans son état d'origine, jusqu'aux plaques minéralogiques estampillées "Super plaques, marque déposée" ! Et les volets thermostatiques du radiateur fonctionnent parfaitement, ce qui n'est pas toujours le cas de ces perfectionnements techniques, parfois capricieux.
Habitacle
Dans l'habitacle, le changement de vitesses au volant a été remplacé par un levier au plancher, situé à côté du tunnel de transmission (boîte-pont oblige), tandis que le conducteur bénéficie du superbe volant Nardi. Les quatre ouvrants de la carrosserie sont en aluminium et les portières évidées reçoivent des vitres coulissantes.
Si la banquette arrière exiguë ne saurait accueillir deux adultes, les sièges au cuir patiné — qui illustrent l'irremplaçable parfum d'authenticité que dégage la voiture dans ses moindres détails — apportent une note cossue à cet espace de nature sportive.
Bien dans le style de l'époque, la sobre planche de bord en tôle peinte présente encore sa radio d'origine, tandis que deux cendriers rectangulaires décorés de niellures — façon orfèvrerie — ornent ses extrémités. Deux grands cadrans circulaires garnissent le tableau de bord. Le compte-tours, dont la zone rouge commence à 5300 tr/mn, abrite le manomètre de pression d'huile et la température d'eau, alors que le tachymètre accueille la montre et le niveau d'essence. Offrant un mélange de confort haut de gamme et d'équipements au parfum de compétition, cet ensemble dégage une impression d'insolite, au demeurant très agréable.
Sur la route
Recherchant les enfilades de virages serrés, c'est dans la campagne des Yvelines que nous avons essayé la B 20. Dans ces enchaînements rapides, la voiture révèle une remarquable agilité, qui procure un vif plaisir de pilotage. Et sa docilité permet d'inscrire la Lancia avec beaucoup d'aisance sur la trajectoire choisie. Le train arrière accompagne avec une relative neutralité les mouvements d'une voiture qui apparaît comme modérément survireuse. L'impression qui domine est celle d'un comportement sain et franc. Ces qualités dynamiques, la Lancia les doit beaucoup à sa remarquable direction, à la fois directe, précise et légère (sauf en manœuvres lentes). Née pour l'attaque, l'Aurelia apparaît comme une complice de choix pour celui qui aime s'adonner au plaisir de la trajectoire.
Le bilan est moins positif en ligne droite, où la B 20 manifeste une instabilité qui rend sa tenue de cap approximative. Si ce défaut semble tenir à l'état des suspensions de la voiture essayée, les surprises que ménagent les freins relèvent des caprices plus traditionnels au modèle. Déséquilibrés, ils provoquent à froid des déports de la voiture qui manifeste alors des velléités à changer de file. Bien qu'ils s'atténuent, voire disparaissent à chaud, ces transports intempestifs n'en sont pas moins déplaisants, même si les qualités de la direction en autorisent une maîtrise aisée.
Les réactions sèches d'une suspension ferme sont compensées par la qualité des sièges en cuir. D'ailleurs les attributs sportifs de la voiture n'altèrent en rien son excellent confort. Tout au plus apprécie-t-on les progrès réalisés depuis quarante ans dans le domaine de l'insonorisation.
En rien dépassées dans le trafic moderne, les accélérations comme la vitesse de pointe apparaissent toujours compétitives par rapport aux voitures actuelles de moyenne cylindrée. A haute vitesse sur autoroute, la principale différence tient au manque de confiance dans le freinage, qui oblige à maintenir une distance de sécurité avec le véhicule qui précède. Intervalle dont profitent systématiquement nos contemporains pour doubler, peu conscients qu'ils sont des impératifs de prudence à respecter sur une automobile ancienne...
Un charme élitiste
Nous avons remarqué, tout au long de notre essai, à quel point la B 20 passe inaperçue aux yeux des quidams, sur la route comme dans la traversée des villages. Manifestement, elle doit cette discrétion à la sobriété de son design, et seuls les initiés qui savent la reconnaître se retournent sur son passage. Ceci ne fait qu'ajouter au caractère élitiste de l'Aurelia (une tradition de la marque Lancia), dont témoignent son esthétique exigeante et sa technologie avancée.
Voiture anti-frime par excellence, la B 20 appartient à cette race d'automobiles représentative d'une certaine élite de l'Italie du Nord et qui évoque l'univers d'Antonioni. Dédaignant toute fanfaronnade et tout effet tapageur, elles se distinguent par leur raffinement sobre et de bon goût.
Bourrée de charme, elle est de ces voitures qui imposent aussi le respect, comme par déférence due à une oeuvre conçue dans la passion. Mais une passion conjuguée à l'esprit d'exigence et au souci de la perfection, qui en firent, lors de son lancement en 1951, une pionnière du concept moderne de GT.
Note au lecteur : ce guide ayant été publié le 28/03/2003, les prix indiqués pour les pièces et la côte des véhicules risquent de ne plus refléter l'état actuel du marché.