Acheter une AUSTIN HEALEY 3000
Gilles Bonnafous le 22/02/2006
L'Austin Healey 3000 se situe dans une classe intermédiaire entre les roadsters anglais de type Triumph TR 4 ou Morgan Plus Four et les Jaguar ou Aston Martin.
Historique
De la 100 à la 3000 Mk III, il n'est pas évident de s'y retrouver dans la lignée des " Big Healeys ", une famille complexe qui témoigne de quinze ans d'évolution.
Ingénieur et pilote de renom, Donald Healey fait ses premières armes de constructeur en 1948 avec un coupé (Elliot) et un roadster (Westland) équipés d'un moteur Riley de 2,4 litres. Suivra en 1951 la Nash-Healey, un roadster motorisé par le six cylindres de la marque américaine équipant l'Ambassador (réalisé à seulement 253 exemplaires). Mais Donald Healey rêve de construire un roadster performant et d'un prix abordable, qui lui assurerait une plus large diffusion.
L'Austin Healey 100 connaît une première évolution en 1955 (série BN2) avec l'adoption du train arrière de la Morris Minor et d'une boîte de vitesses à quatre rapports. Une variante plus performante, la 100 M, voit son moteur porté à 110 ch. La voiture est identifiable à son capot percé d'ouïes et fixé par une sangle.
La grande aventure débute en 1952 au salon de Londres, dont l'Healey Hundred constitue l'une des vedettes. Dessiné par Gerry Coker et construit par Ticford, ce prototype emprunte son moteur à l'Austin A 90. Rapidement Donald Healey signe un accord avec Leonard Lord, le patron de la British Motor Corporation, et la voiture devient Austin Healey. Vingt exemplaires d'avant série sont réalisés. La production en série de l'Austin Healey 100 démarre en mai 1953 dans la célèbre usine Austin de Longbridge. Equipé d'un quatre cylindres de 2663 cm3 développant 90 ch, le modèle (série BN1) est essentiellement conçu pour l'exportation, à l'image de toutes les voitures de sport britanniques de l'époque. En août 1954 apparaît une version sportive, la 100-S, dont les 132 ch sont obtenus grâce à une culasse préparée chez Weslake. Dotée de quatre freins à disque, la voiture, dont la carrosserie est réalisée en aluminium, est reconnaissable à sa calandre de forme ovale. Cinquante exemplaires seulement en seront réalisés.
L'année suivante marque un tournant dans l'évolution de l'Austin Healey avec l'apparition du premier modèle à six cylindres : c'est la 100 Six (série BN4), dont le moteur de 2639 cm3 (102 ch) est celui de l'Austin A-105 Westminster. Sa carrosserie allongée fait de la voiture une 2 + 2, dont la nouvelle calandre ovale évoque celle de la 100-S. Le pare-brise est désormais fixe. Variante de la précédente, la 100 Six série BN6 revient en 1958 à la carrosserie deux places. Le moteur reçoit en même temps un surcroît de vitamines (117 ch) grâce à une nouvelle culasse et à des carburateurs SU HD6.
C'est en juillet 1959 que naît l'Austin Healey 3000, premier modèle d'une nouvelle génération dont le six cylindres est porté à trois litres (124 ch). Dotée en série de freins à disque à l'avant, la voiture est disponible en roadster deux places (série BN7) et 2 + 2 (série BT7). En 1961, la 3000 Mk II bénéficie de trois carburateurs SU HS4, qui font monter la puissance à 132 ch. Elle reçoit par ailleurs une nouvelle calandre à barrettes verticales. La 3000 Mk IIA (série BJ7) marque en 1962 l'embourgeoisement du modèle : la version roadster deux places disparaît, tandis que prennent place vitres descendantes, déflecteurs et pare-brise bombé. Dernier avatar de la lignée, mais non le moindre, la 3000 Mk III(série BJ8) est lancée en 1964. Elle se voit doter d'un servofrein et sa suspension arrière reçoit des tirants longitudinaux. Surtout, avec 150 ch, c'est la plus puissante des Austin Healey.
Design
Même à l'arrêt, l'Austin Healey semble cabrée sous l'effet de l'accélération. Ramassée sur sa poupe comme un fauve prêt à bondir, sa ligne arc-boutée sur ses hanches évoque les photos des machines de courses du début du siècle aux silhouettes penchées par la vitesse. Son profil incliné vers l'arrière, plongeant doucement jusqu'à la naissance des ailes, participe également à cet effet que le styliste a su magnifiquement rendre pour créer l'illusion de la vitesse. Même la découpe des portes, faite de traits obliques coupés au couteau, suggère la performance. En un mot, une ligne à couper le souffle !
Dessinée par Gerry Coker, la " Big Healey " apparaît comme une des plus belles réussites du design britannique. Racée et un rien agressive dans un ensemble d'une grande homogénéité, elle est un chef d'œuvre d'équilibre et d'élégance. De plus, la livrée en deux tons qu'elle revêt souvent lui sied particulièrement bien. La ligne de partage des couleurs, en accentuant la ligne de fuite inclinée vers l'arrière, souligne le dynamisme de la silhouette. Quant aux rondeurs galbées de la poupe, elles offrent à la voiture un séant aussi rassurant que sensuel, habile contrepoint à l'allure menaçante de la proue. En net retrait par rapport aux ailes, la vaste calandre décorée d'une grille à barrettes horizontales - qui passeront à la verticale sur la Mk II - dessine une gueule vorace qu'on sent prompte à avaler l'adversaire.
Habitacle
L'Austin Healey doit à ses premières versions une réputation de brute pour vrais durs. Mais tel n'est pas le caractère de la génération trois litres. Voiture virile certes, la 3000 n'en est pas moins civilisée. Elle offre à ses occupants un confort de bon aloi (pour ce type de modèles), supérieur en tout cas au niveau atteint en ce domaine par la plupart des roadsters anglais. Bien calé, pour ne pas dire coincé, dans les sièges baquets, le conducteur voit sa tête largement dépasser au-dessus du pare-brise bas et plat. Ce qui lui vaut, faute d'avoir un goût prononcé pour les couvre-chefs, de se voir gratifier d'un brushing peu orthodoxe…. Derrière l'imposant et fin volant à trois branches, apparaît un tableau de bord dépouillé mais complet, le tachymètre disposé à gauche faisant pendant au compte-tours situé sur la droite. Un coup d'œil dans le rétroviseur extérieur révèle une vue imprenable sur le superbe galbe de l'aile arrière…
L'Austin Healey MK I, qui illustre ces pages, est une assez rare version roadster (seulement 2825 exemplaires construits), soit une stricte biplace, avec la roue de secours en guise de passager arrière ! Très légères, les portes évidées et dépourvues de vitres offrent de généreux vide-poches. Pour ce qui est de l'habitabilité, nous dirons, par euphémisme, qu'elle est mesurée ! Dans sa largeur, le tiers de l'habitacle est occupé par la boîte de vitesses, et en ce qui concerne la longueur dévolue aux jambes, il est clair que les basketteurs resteront sur la touche ! On remarquera la curieuse position du levier de vitesses, couché en biais sur le côté du tunnel.
Moteur
Surmonté d'une suggestive prise d'air, le capot, de dimensions modestes par rapport à l'ampleur de la partie antérieure de la voiture, cache le gros six cylindres Austin monté à l'étroit dans son compartiment exigu. Née avec le quatre cylindres de l'Austin A 90 Atlantic (type 100/4), puis dotée du six cylindres BMC série C de 2,6 litres dérivé de la Morris Isis (type 100/6), l'Austin Healey hérite en 1959 de ce groupe réalésé à 2,9 litres, et qui équipera également l'Austin Westminster et la MGC. Ainsi gréée d'une mécanique plus noble délivrant 124 ch (au paisible régime de 4600 tr/mn), l'Austin Healey Mk I sera produite jusqu'en 1961.
Sur la route, la voiture exprime la générosité de sa mécanique qui, pour être dépourvue de toute sophistication, n'en témoigne pas moins de remarquables qualités. Puissant et toujours prêt à reprendre sans broncher, ce moteur tout en rondeur s'affirme comme un parangon de souplesse et de disponibilité. Grâce à ce cœur énorme, la conduite se fait sur le couple dont l'excellente valeur de 23 m/kg s'exprime à 3000 tr/mn, régime où, pour notre plus grand plaisir, la voiture bondit sous la charge de la cavalerie. Mais l'on peut tout aussi bien lui demander d'effectuer une reprise à 1500 tr/mn en troisième, ce qu'elle fera sans maugréer. Grâce à cette mécanique de caractère, qui en fait une voiture équilibrée et très agréable à conduire, l'Austin Healey MK I apparaît comme un modèle parvenu à sa maturité.
Quant à la sonorité de l'échappement, elle est un véritable enchantement. Interprétant sans aucun doute une des plus belles partitions du répertoire automobile, elle nous gratifie de ses tonalités graves et chaleureuses, qui représentent un constant encouragement à monter les régimes. Cette contribution musicale s'ajoute au bonheur que l'on éprouve à solliciter le moteur, un plaisir redoublé par le bruit d'aspiration des deux carburateurs SU, aussi félin que suggestif…
Boîte de vitesses
On sera moins laudatif à l'égard de la boîte de vitesses à quatre rapports qui se révèle dure et accrocheuse. Une vraie boîte anglaise, en somme, les ingénieurs de Sa Gracieuse Majesté n'ayant que rarement brillé dans l'art de domestiquer synchros et engrenages ! La voiture est gravement pénalisée par la lenteur de cette transmission, qui ne favorise pas les performances. Vrai talon d'Achille de l'Austin Healey, cette boîte ne permet pas d'exploiter complètement les remarquables possibilités du moteur. Réfractaire aux passages rapides, elle ne veut rien savoir et le double débrayage s'avère inopérant. Il convient donc de prendre patience et d'attendre que les pignons paresseux veuillent bien faire leur travail !
Très courte et non synchronisée, la première n'est guère utilisable. Tout au plus, sert-elle à lancer la voiture. Mais vu le couple du moteur - et si l'on ne cherche pas à " faire un chrono " -, le démarrage en seconde s'avère recommandé pourvu que le profil de la route s'y prête. L'étagement n'est pas non plus sans reproche, qui laisse un trou entre la deuxième (trop courte) et la troisième, laquelle grince abondamment tandis que la deuxième rétrograde plus volontiers (sauf sur les hauts régimes). La voiture de notre essai est équipée de l'overdrive - monté en option -, qui permet de réduire le régime moteur d'environ 1000 tr/mn. Mais sa commande placée du même côté que le levier de vitesses ne paraît guère pratique si l'on souhaite passer de troisième surmultipliée en quatrième !
Sur la route
Nous avons été séduit par le comportement très vif de l'Healey. Alerte et maniable, la voiture ne demande qu'à se jouer des enchaînements rapides de lacets. Et c'est peu dire… Car porté sur la glissade et les écarts du train arrière, son tempérament survireur ne demande qu'à s'exprimer ! Mais ces excès de générosité demeurent contrôlables grâce au caractère franc de la voiture, qui réagit promptement à la moindre sollicitation du volant. Le train avant, qui nous a paru excellent, permet de bien l'inscrire en virage, tandis que la direction directe, précise et assez légère, participe à l'agrément de la tenue de route et aux qualités dynamiques de la voiture. Et bien que naturellement dépourvue d'assistance, nous ne l'avons pas trouvée particulièrement dure en manœuvres lentes. Grâce à un équipement pneumatique moderne, des Michelin de taille légèrement supérieure à la monte d'origine, la " Big Healey " s'accroche même fort bien à la route.
La suspension présente un heureux compromis entre souplesse génératrice de confort et fermeté requise par les exigences de la tenue de route. Sur mauvais revêtement cependant, l'amortissement plus sec de l'arrière rebondit sur les irrégularités du sol, rendant la tenue de cap quelque peu aléatoire. Mais la situation ne pose pas de réel problème de contrôle. Malgré la présence de disques à l'avant, qui caractérisent également la Mk I par rapport à la précédente 100/6, l'efficacité du système de freinage se révèle moyenne, non obstant la grande fermeté de la pédale qui, pour obtenir un résultat, requiert des jambes musclées…
Entretien
Il va sans dire que l'Healey 3000 se révèle tout à fait à la hauteur dans le trafic moderne. Utilisable comme une routière moderne grâce à la fiabilité de son gros six cylindres issu de la série, et parfaitement adaptée aux conditions actuelles de circulation, elle représente un excellent choix pour le collectionneur tenté par une sportive de tempérament, mais réfractaire aux caprices d'une mécanique trop sophistiquée.
De fait, il est tout à fait possible de rouler quotidiennement en Austin Healey. D'origine plébéienne, sa mécanique se révèle docile et non sujette à la surchauffe. Elle se satisfait d'un entretien assez sommaire à la portée de n'importe quel garagiste - sérieux, il va sans dire. Seul le réglage des carburateurs, surtout sur la 3000 Mk II dotée de trois SU HS4, nécessite une compétence particulière.
Les pièces détachées ne posent aucun problème, les catalogues d'outre-Manche étant largement pourvus sur ce point. Il faut dire que plus de 46 000 Austin Healey six cylindres ont été produites (4150 versions 100 Six et 41 925 modèles 3000) !
Par son confort comme par la puissance et l'agrément de son moteur, l'Austin Healey 3000 se situe dans une classe intermédiaire entre les roadsters anglais de type Triumph TR 4 ou Morgan Plus Four, et les Jaguar, Aston Martin et autres GT italiennes. Devenue un grand classique, sa ligne intemporelle en fait l'une des plus belles voitures anglaises de l'après-guerre. Du reste, on demeure frappé par le modernisme de cette forme ponton qui date tout de même de 1952 ! N'ayant pris aucune ride, si ce n'est la calandre qui date un peu, elle est loin de faire ses 49 printemps. Et l'on ne se lasse pas de la séduction qu'exerce l'attachante personnalité de cette voiture généreuse, au grand cœur abrité dans un corps sublime. De quoi être épris…
Note au lecteur : ce guide ayant été publié le 22/02/2006, les prix indiqués pour les pièces et la côte des véhicules risquent de ne plus refléter l'état actuel du marché.