Acheter une ROLLS-ROYCE Silver Shadow
Gilles Bonnafous le 03/08/2002
Autoproclamée "Best car in the world", la Rolls-Royce nous est depuis longtemps présentée comme le symbole automobile de la perfection, de la noblesse et de la réussite sociale.
Le mythe désacralisé
Avec la Silver Shadow, Rolls-Royce est délibérément sorti des écuries royales. En abandonnant les formes aristocratiques et très britanniques de la Silver Cloud, la marque a un peu perdu de sa superbe. Mais à l'issue d'un délai de gestation historique - dix ans de conception et de mise au point -, la Silver Shadow a permis à la firme à revoir ses ambitions commerciales à la hausse grâce à une nouvelle clientèle. De fait, cette série à battu tous les records de production de la marque au cours d'une carrière de quinze ans. Fraîchement accueillie à ses débuts par les adorateurs intégristes de la Flying Lady, la Silver Shadow a néanmoins contribué à faire entrer Rolls-Royce dans l'ère moderne en désacralisant son image.
Révolution
Plus qu'une étape, la Silver Shadow représente pour le constructeur de Crewe une rupture historique, sous la forme d'une véritable aggiornamento technique. Un aggiornamento qui s'apparente fort à une révolution culturelle.
Abandonnant le châssis séparé, la Silver Shadow se présente comme la première monocoque autoportante de la marque. Elle est aussi la première Rolls-Royce équipée de quatre roues indépendantes. Constituée de bras longitudinaux, la nouvelle suspension arrière se voit épaulée par un correcteur d'assiette automatique et hydraulique, qui utilise le brevet Citroën (d'abord monté sur les quatre roues, il sera réservé aux roues arrière à partir de 1969).
Toutefois, ce qui peut être pris pour une révolution chez Rolls-Royce ne représente en réalité qu'une tardive actualisation. Car ce recours à des solutions techniques modernes a été depuis longtemps consacré par tous les constructeurs (à commencer par la structure monocoque adoptée par Vauxhall dès 1937 et par Ford Dagenham en 1950). Crewe apparaît bien ainsi comme une citadelle du conservatisme.
La Silver Shadow est également la première Rolls-Royce à recevoir des freins à disques. Elle en est dotée sur les quatre roues (deux étriers à l'avant). Avec un triple circuit assisté, son système de freinage s'impose d'ailleurs comme un modèle de sophistication. Le premier circuit assure l'essentiel de l'efficacité de l'ensemble en commandant un des deux étriers de chaque disque avant et ceux de l'arrière : le second agit sur le second étrier des disques avant et le troisième, non assisté, intervient sur les étriers arrière. Un limitateur de pression, évitant le blocage des roues arrière, complète le dispositif. Autre nouveauté, une direction assistée, équipée d'un amortisseur, est livrée en série.
Carrosserie ponton
Avec sa silhouette abaissée et anguleuse, la Silver Shadow consacre également le passage de Rolls-Royce à la ligne ponton, soit vingt ans après les pionniers du genre. Sa ceinture de caisse rectiligne, qui abandonne les ailes semi-intégrées du modèle précédent, symbolise un design modernisé et européanisé (signe des temps) qui cède à la mode ambiante. Certes, d'aucuns seront fondés à déplorer cette banalisation du style maison : perdant sa spécificité britannique, la Silver Shadow se révèle moins représentative d'une certaine culture. II n'empêche, sa forme sobre et très homogène reste emprunte d'une noble élégance. Le profil révèle un remarquable équilibre des proportions, avec un pavillon bien centré entre une poupe symétrique du long et majestueux capot. Du reste, la Silver Shadow représente la dernière Rolls-Royce à la ligne vraiment séduisante. Prenant la relève à partir de 1980, la Silver Spirit apparaît beaucoup trop massive.
Son gabarit réduit fait de la Silver Shadow une "petite" Rolls-Royce avec une longueur de 5,17 mètres. Son empattement de 3,03 mètres autorise une meilleure maniabilité qu'illustre son rayon de braquage réduit à 4,70 mètres (contre 6 mètres pour la Silver Cloud). Mais surtout, elle perd dix centimètres en largeur par rapport à sa devancière. Moins spacieuse, elle prend ainsi les traits d'une " simple " berline à quatre places. Nous sommes loin du carrosse royal...
Cette révolution "démocratique" paraît révélatrice de notre époque. Car la Silver Shadow (en majorité) sera désormais conduite non par un chauffeur mais par son propriétaire... devenu "owner driver". La célèbre calandre, qui n'a pas fini de faire fantasmer tous les nouveaux riches que compte le vaste monde, suit une évolution parallèle avec des proportions réduites et une forme presque carrée.
Une version à châssis long fait son apparition en 1969. L'empattement gagne dix centimètres et l'habitacle est doté d'une séparation chauffeur ainsi que de deux systèmes séparés de climatisation. Dorénavant, une Silver Shadow sur cinq sera livrée dans cette configuration.
Le passage à la carrosserie autoportante a donné le coup de grâce aux carrossiers. Park Ward et H. J. Mulliner sont repris par Rolls-Royce, avec pour conséquence une complète standardisation de la production, également nouvelle pour la marque. Néanmoins, ces derniers réaliseront en 1966 un très élégant coupé, en fait une berline deux portes dotée d'un léger décrochement marquant la naissance des ailes arrière. Seul demeure James Young, qui transformera en coupé une cinquantaine de berlines fournies par l'usine. Mais en 1969, il sera racheté par Barclay, agent Rolls-Royce à Londres.
Une mécanique paisible
La Silver Shadow reçoit le moteur de sa devancière, un V8 de 6,2 litres à course courte et vilebrequin monté sur cinq paliers, dont le bloc et les culasses sont réalisés en aluminium. On estime sa puissance à la paisible valeur de 200 ch, le constructeur étant toujours fidèle à cette coutume singulière (et plutôt ridicule) consistant à cacher la puissance et le couple de ses moteurs...
Les voitures destinées au marché intérieur sont équipées de la transmission General Motors Hydramatic à quatre vitesses construite sous licence par Rolls-Royce, tandis que celles construites pour l'exportation (donc à conduite à gauche) bénéficient de la nouvelle boîte Hydramatic Turbo à trois vitesses importée des Etats-Unis (elle équipera tous les modèles à partir de 1968).
Modifié en 1970, le moteur voit sa cylindrée passer à 6750 cm3 après réalésage. Le vilebrequin a également été redessiné et la puissance gagne une vingtaine de chevaux au même régime de 4500 tr/mn.
La Silver Shadow II
Pour faire face à la concurrence et en attendant la sortie d'un nouveau modèle (la Silver Spirit qui n'apparaîtra qu'en 1980), la Silver Shadow subit un lifting symbolique en mars 1977. Présentée au salon de Genève, cette Silver Shadow II reçoit, sous une carrosserie quasiment identique, un certain nombre 3d'améliorations mécaniques, dont une direction à crémaillère (enfin !). La suspension avant est également perfectionnée pour assurer à la voiture une meilleure tenue en courbe tout en diminuant le roulis. Afin de réduire la consommation et la pollution, la carburation se voit dotée d'un contrôle électronique, tandis que les voitures exportées aux Etats-Unis et au Japon devront s'accommoder d'un taux de compression réduit à 7,3.
Légèrement revu, l'aménagement intérieur bénéficie d'un tableau de bord redessiné et d'un nouveau volant à deux branches. Le niveau d'équipement franchit un nouveau pas avec le cruise control et, surtout, l'automatisation complète de la climatisation (et même du chauffage de la lunette arrière).
La Silver Shadow II est identifiable extérieurement à ses pare-chocs, plus épais et plus résistants pour satisfaire aux nouvelles normes de sécurité, ainsi qu'à la présence d'un bouclier, qui réduit encore la hauteur de la calandre. On peut également constater la disparition des prises d'air sous les phares, dotés dorénavant d'un dispositif de lavage, tandis qu'une double sortie d'échappement apparaît à l'arrière. La version longue de la Silver Shadow Il devient à cette occasion Silver Wraith II, recevant ainsi une appellation spécifique qui fait référence à une ancienne et illustre série commercialisée à la carte. Avec sa séparation centrale (et ses deux autoradios !), cette variante pèse 150 kilos de plus que la Silver Shadow II. Elle sera produite à 2135 exemplaires malgré son prix astronomique de 334 000 francs en 1977 (une Mercedes 450 SEL 6,9 L est proposée la même année à 228 000 francs...).
Les Bentley T
On ne saurait passer sous silence les équivalents Bentley de la Silver Shadow, même si la différence entre les deux marques ne tient qu'à la forme de la calandre.
Présentée au Salon de Paris de 1965, la T1 est suivie en mars 1966, au Salon de Genève, d'un coupé succédant au coupé S3, tandis qu'un cabriolet apparaît au Salon de Francfort de 1967. L'année suivante, Pininfarina réalisera un coupé évoquant quelque peu l'esprit de la première Continental. Ce prototype sans lendemain inspirera cependant le dessin de la peu élégante Camargue.
Avec 558 exemplaires seulement, la faible production de la T1 traduit une évolution significative de la clientèle par rapport aux périodes antérieures, qui virent les volumes s'équilibrer entre les deux marques. Ainsi, les nouveaux acheteurs se sont révélés plus sensibles au caractère démonstratif de la Rolls-Royce, symbole éclatant, sinon voyant, d'une certaine réussite. En 1977, est lancée la Bentley T2 dont la version longue, réalisée uniquement sur commande, sera fabriquée à dix exemplaires seulement.
The best car in the world ?
C'est sous la forme de la Silver Shadow II que prend fin, en 1980, la carrière de cette lignée après que 8425 exemplaires ont été construits. Non obstant des délais de livraison considérables, le modèle aura conforté sa position sur le marché américain et, signe des temps, il connaîtra une forte expansion vers le Moyen-Orient.
Autoproclamée "Best car in the world", la Rolls-Royce nous est depuis longtemps présentée comme le symbole automobile de la perfection, de la noblesse et de la réussite sociale. Il faut croire que l'arrogance paie, puisque la marque a été érigée au niveau d'un mythe. Mais celui-ci, et telle est sa nature, va bien au-delà de la réalité. Car la réputation des Rolls apparaît quelque peu surfaite, à l'image de leur fiabilité qui n'est pas au-dessus de tout soupçon dès lors que l'entretien préconisé par le constructeur n'est pas scrupuleusement respecté. En outre, les ingénieurs de la firme, loin de se situer à l'avant-garde du progrès, semblent affectionner les solutions mécaniques les plus compliquées...
A bien des égards, La Silver Shadow ne soutient pas la comparaison avec la Mercedes 600, sa rivale historique, qui affiche des performances et une sécurité dynamique bien supérieures malgré un prix de vente moins élevé. Certes, les lignes et le traitement de l'intérieur de la limousine allemande n'ont pas le charme de la Rolls... On constatera tout de même que les Rolls-Royce sont équipées d'une transmission américaine et d'un climatiseur japonais !
Guide d'achat
Une Rolls pour moins de 100 000 francs ? Une telle démocratisation de la marque apparaît comme une petite révolution. Surtout si l'on compare ce prix à celui d'une berline contemporaine ! C'est ensuite que les choses se compliquent, avec un entretien extrêmement coûteux et une consommation largement égale à celle d'une américaine de la grande époque. Pourrez-vous suivre?
Victimes de la légende qui voudrait qu'une Rolls-Royce ne tombe jamais en panne, certains candidats à l'achat d'une Silver Shadow affichent une grande crédulité. Certains ont même acheté leur voiture sans la voir, puisque c'est une Rolls...
La connaissance précise de la carrière de l'exemplaire convoité et de son pedigree (précédents propriétaires identifiés, factures d'achat et de garage attestant de son entretien régulier) prend dans le cas d'une Silver Shadow une importance particulière vu le coût des réparations. Faute de pouvoir tout inspecter, notamment l'intérieur du moteur et les circuits hydrauliques, ces informations s'avèrent indispensables si l'on veut éviter de douloureuses surprises. Dans cet esprit, il convient de prendre garde à certaines petites annonces proposant des exemplaires trop bon marché. Leur aspect parfois avenant cache en général un état pitoyable, et un faible kilométrage annoncé (inférieur à 100 000 km) ne correspond que rarement à la réalité.
D'aucuns se sont encore fait piéger par une voiture affectée, par exemple, de fuites hydrauliques ou affublée d'un moteur bruyant (le comble pour une Rolls) pour cause d'échappements bon marché… Tombant de haut, ces déçus de la Rolls ont contribué à affecter la Silver Shadow d'une mauvaise réputation qui a desservi la marque.
D'une manière générale, il convient aussi de se montrer vigilant vis-à-vis des importations en provenance des Etats-Unis. Souvent bricolées (repeintes à l'économie, ou pire, accidentées et mal redressées), ces Rolls américaines constituent parfois de redoutables pièges roulants.
II faut également savoir que leurs moteurs, qui se présentent dans une configuration spécifique aux normes antipollution américaines, s'avèrent souvent difficiles à régler. Dotés d'un taux de compression moins élevé et d'échappements spéciaux, ils sont également moins puissants. Ces particularités provoquent aussi un surcoût des pièces détachées et un appétit encore plus élevé. En version européenne, la consommation s'établit à une moyenne de I'ordre de 25 litres en conduite coulée. Mais en ville, et en sollicitant les ressources du moteur, le chiffre de 35 litres est rapidement atteint...
La présence d'une conduite à droite entraîne, sur cette voiture moderne, une décote supérieure à celle que l'on constate habituellement sur des modèles plus anciens comme la Silver Cloud. La Série II apparaît légèrement moins cotée. En dépit d'une offre toujours abondante, Ies cours moyens pratiqués sont restés à peu près stables ces derrières années. De fait, la Silver Shadow a, semble-t-il atteint une cote plancher qu'il paraît vain aujourd'hui d'espérer voir baisser dans des proportions sensibles.
Entretien mécanique
Parmi les points sensibles à contrôler régulièrement, il faut citer le complexe circuit hydraulique, dont un manque d'entretien peut réserver de très graves ennuis. La boîte de vitesses, qui suinte volontiers, doit être contrôlée tous les 100 000 kilomètres, ainsi que la direction dont l'étanchéité n'est pas parfaite. Quant aux moteurs des lève-vitres et des sièges, ils se révèlent défaillants avec l'âge.
La Silver Shadow requiert également un style de conduite approprié, car cette noble dame ne s'accommode guère d'être menée trop longtemps tambour battant. Certains jeunes acquéreurs en ont fait l'amère expérience, qui ont pu constater que ce modèle ne résiste pas longtemps à un pilotage "pied dedans"... Une Silver Shadow ne se conduit pas comme une Mercedes Classe S et sa vitesse de croisière s'établit aux alentours de 140 km/h. Mais un train de sénateur et un entretien régulier l'amèneront sans ennui grave à 200 000 kilomètres. Au-delà, le moteur commence à consommer de l'huile et une réfection s'impose généralement à 300 000 kilomètres.
Sauf à avoir souffert de conditions climatiques très humides ou de l'air marin, la structure des Silver Shadow est généralement épargnée par la corrosion, à l'exception toutefois des bas de caisse et des passages de roues.
Entretien carrosserie
Pour la réfection complète du système de freinage, il faut compter environ 50 000 francs. Une révision des circuits hydrauliques représente une dépense d'un montant comparable.
Quant aux pièces, certains prix ont de quoi donner des insomnies ! Tel est le cas de la calandre, facturée près de 50 000 F hors taxes, plus de la moitié de la cote moyenne d'une Shadow en somme. II importe néanmoins de relativiser certaines de ces données. En cas d'accrochage léger, il est en effet possible de refaire une calandre à moindres frais. De même est-il rare de devoir procéder à un échange-standard complet du moteur ou de devoir s'offrir une paire de pare-chocs neufs à 45 000 francs le jeu...
Reste que les factures d'entretien d'une Silver Shadow apparaissent généralement conformes au mythe de la marque et qu'en dépit de toutes les légendes colportées par l'homme de la rue, une Rolls s'use, se dérègle et tombe parfois en panne...
En échange d'un chèque de moins de 100 000 francs, l'accès au mythe Rolls peut paraître bien tentant. Si un tel achat procède a priori d'un coup de foudre "raisonnable", mieux vaut tout de même y réfléchir soigneusement et se poser au préalable cette question essentielle : une Silver Shadow, pour quoi faire? Pour le seul plaisir de posséder une Rolls au moins une fois dans sa vie? Si ce seul argument ne vous semble pas contournable, alors, laissez-vous tenter. Et après, seulement après, vous aurez tout le temps de faire vos comptes et de conclure, peut-être, que les gens déraisonnables ne sont décidément pas en voie de disparition...
Note au lecteur : ce guide ayant été publié le 03/08/2002, les prix indiqués pour les pièces et la côte des véhicules risquent de ne plus refléter l'état actuel du marché.