Acheter une BMW 2002
Gilles Bonnafous le 13/08/2002
Lancée en 1966, la génération BMW 2002 (modèles à 2 portes) proposait une large gamme de voitures modernes, réalisées sur la même base et le même design.
Histoire d'un sauvetage
Imaginez-vous Ferrari produire sous son propre nom des voitures sans permis ? Impensable. Telle est pourtant, mutatis mutandis, la situation de BMW à l'aube des années soixante. Car une étonnante politique de marketing a conduit la marque bavaroise, qui a redémarré sa production en 1952, à commercialiser en même temps le magnifique coupé 507 à moteur V8 de 3,2 litres et l'Isetta monocylindre de 250 cm3. Entre les deux, peu de choses, si ce n'est la 700 - pourtant excellente mais chère -, qui ne se vend guère mieux que l'obsolète berline 502 V8, surnommée "l'ange baroque". Au bord du dépôt de bilan en 1959, l'entreprise est rachetée par un industriel du textile et de la chimie, Herbert Quandt.
Dès lors, tout ira très vite. Dessinée par Michelotti, la 1500, lancée en 1962, marque le renouveau de la marque. Son look séduisant attire une clientèle plus jeune que celle de Mercedes, tandis qu'une politique marketing de niche, consistant à produire des voitures compactes et surmotorisées, va conduire à une véritable success story.
Petites sœurs de la génération à quatre portes dérivée de la 1500 Michelotti, les BMW 02 (pour deux portes) reçoivent les mêmes motorisations. Moins longues (de 20 centimètres) et plus étroites (de 8,5 centimètres), elles bénéficient d'un empattement à peine réduit (de 5 centimètres), et surtout de voies identiques, ce qui leur assure une excellente assise. Cette nouvelle génération n'acquiert pas de suite le suffixe 02, qui permet de les distinguer de leurs aînées. Lancé au salon de Genève en mars 1966, le premier modèle prend l'appellation de 1600-2, pour le singulariser de la 1600 à quatre portes qu'il remplace. Il ne deviendra 1602 qu'en avril 1971, en même temps que la sortie de la 1802 et bien après l'apparition de la 2002 en janvier 1968. Mais les versions Touring à hayon arrière ne recevront jamais ce signe distinctif, qui n'était pas nécessaire à leur identification.
Un marketing habile
Avec les 02, BMW a mis en pratique le principe de la gamme tirée par un (ou plusieurs) modèle auréolé du prestige de la performance. La firme l'a fait avec un rigoureux esprit de système, développant peu à peu un large éventail de voitures réalisées sur la même base et le même design, mais différenciées par le brio mécanique et le type de carrosserie (berline, Touring et cabriolet). Il est clair que le parti pris marketing, en favorisant l'identification du modèle de base au plus prestigieux, offre à l'acquéreur le moins argenté la représentativité sociale que confère la possession d'un modèle BMW de haut de gamme. D'autant que la locomotive s'est progressivement sophistiquée pour atteindre d'exceptionnels niveaux de performances, passant successivement de l'éphémère 1600 TI de 105 ch et 175 km/h (1967-1968) à la 2002 ti, puis en 1971 à la 2002 tii (voir détails plus loin). Précisons qu'à l'exception des bas de gamme 1602 et plus tard 1502, tous les modèles peuvent recevoir en option une boîte de vitesses à cinq rapports.
Quant à la Touring, elle représente une ingénieuse et originale formule de break de loisirs, conciliant les attraits d'un coupé aux lignes agréables et au tempérament sportif (surtout en version 2000 tii) et l'apport utilitaire du hayon arrière, similaire aux hatchbacks américains. Arrivée probablement trop tôt (notamment pour sa forme bi-corps), cette innovation connaîtra un relatif échec commercial. Du reste, Hahnemann, le patron de la firme munichoise de 1961 à 1971, n'y croyait guère.
Le carrossier Baur de Stuttgart réalise, à partir de 1967, un très élégant cabriolet quatre places sur la base de la 1600. Recevant en 1971 la mécanique de la 2002, il est malheureusement transformé pour satisfaire les draconiennes normes de sécurité américaines. Défiguré par ce qui, plus qu'un arceau, constitue une véritable cellule de protection, il mérite moins l'appellation de cabriolet que de coupé (très) découvrable.
Les trois moteurs utilisés sont des quatre cylindres à un arbre à cames en tête de 1,6 litre, 1,8 litre et 2 litres de cylindrée. Pour les modèles 1602, 1802 et 2002, les puissances sont respectivement de 85 ch, 90 ch et 100 ch. Seule la 1802, modèle intermédiaire qui n'apparaît qu'en 1971, ne connaîtra pas de version ti. Quant à la 1502, équipée en fait du même moteur de 1,6 litre mais ramené à 75 ch, elle est le fruit du premier choc pétrolier. Elle apparaît en 1975 comme bas de gamme économique de la marque, alors que la génération 02 vient de céder la place à la nouvelle série 3.
Design
Les proportions compactes, alliées à un design moderne, brossent le tableau d'une automobile de taille moyenne et légère (une tonne maximum), qui fait jeune. Sa fabrication exclusive en deux portes accroît son image dynamique en la rapprochant de l'esprit du coupé (la publicité la présente d'ailleurs comme tel aux Etats-Unis), et l'écarte de toute pesante connotation familiale. L'exiguïté des places arrière souligne d'ailleurs cette " philosophie " 2 + 2, trahissant la jeunesse de la cible commercialement visée.
Les lignes de la voiture sont claires et sans surcharge, tandis que la très basse ceinture de caisse soulignée par une lèvre, en réduisant la hauteur des flancs, dégage un vaste pavillon. Très échancré et doté de fins montants, ce dernier est d'autant plus lumineux que les grandes vitres sont dépourvues d'encadrements.
De notre point de vue toutefois, la carrosserie manque d'originalité et de caractère. Bien que non dénuée d'une certaine grâce, la ligne, peu expressive, ne suggère guère le caractère sportif de la voiture. Quant aux petites jantes de treize pouces, elles n'accréditent pas l'idée de performances et ne contribuent pas à lui donner le chien qui lui manque. Nous sommes loin des lignes racées et sensuelles de l'Alfa Romeo Giulia.
La face avant apparaît comme l'élément le plus convaincant du design de la voiture. Son profil, légèrement en nez de requin, lui confère une agressivité de bon aloi, soulignée par une élégante sobriété. Pour favoriser l'identification, les lamelles chromées, qui décorent la calandre tri-partite, sont remplacées, sur les modèles de haut de gamme (dès la 1600 TI), par deux baguettes sur fond noir. L'ensemble sera restylé en 1973, soit en fin de carrière. La calandre se présente alors en une seule partie, et le plastique noir mat remplace les chromes.
Selon le goût de chacun, le corps arrière de la voiture, petit et menu, sera assimilé à un fin et gracile postérieur ou considéré comme un croupion inconsistant. Nous dirons, pour notre part, qu'il manque singulièrement de présence. La face arrière reçoit deux feux ronds, qui peuvent paraître incongrus dans un ensemble exclusivement constitué de droites horizontales. Leur remplacement tardif, en 1973, par des blocs rectangulaires bien dessinés donnera à cette partie l'homogénéité qui lui manquait.
Habitacle
Comme l'ensemble des BMW de cette époque, la planche de bord des modèles 02 ne brille pas par son inventivité. Elle est essentiellement constituée d'une vacuité, à savoir le grand vide-poche découvert qui court sur toute sa largeur. Evoquant un tiroir ouvert en permanence, elle génère inévitablement un certain désordre. Le tableau de bord n'est pas mieux loti avec ses cadrans pauvrement installés dans un banal rectangle chromé. Sans parler de la supercherie qui consiste à installer trois cadrans circulaires, évocateurs des circuits, alors que deux sont postiches dans l'esprit : l'un indique le niveau d'essence et la température de l'eau (avec quelques voyants lumineux), tandis que le second reçoit une montre, dont on ne peut dire qu'elle renseigne beaucoup sur la vie du moteur... L'indigence de l'information est indigne de voitures de ce niveau de performances. L'absence d'un manomètre de pression d'huile et d'un compte-tours surprend particulièrement : si ce dernier équipera tout de même la 2002 tii, il figure sur la liste des options pour les autres modèles.
L'ensemble de l'aménagement intérieur est traité dans le même esprit, à l'image du triste levier de vitesses. Tout cela respire le skaï, la froideur et la fonctionnalité. Le placage de faux bois qui apparaît sur le tableau de bord de la 2002 tii ne fait pas illusion. Aucun matériau noble ou chaleureux ne vient mettre un peu d'âme, aucune fantaisie n'égaie l'implacable et morne rationalité utilitaire de cet univers. Une longue liste d'options très coûteuses (déjà !) permet d'améliorer l'ordinaire et, en 1973, une version "L" rassemblera l'essentiel de ces suppléments. Mais jamais les vitres électriques ne seront mises au programme, alors que les glaces arrière devront se contenter d'une ouverture par équerre : il est vrai que des contraintes techniques ont obligé à cette solution bon marché, mais bien dans l'esprit " coupé " de la voiture.
BMW 2002
Surpuissants et légers, les modèles 2002 apparaissent comme des grandes routières capables de soutenir de très hautes moyennes, nonobstant le confort très relatif... Mais le plaisir de conduire est tel qu'on n'a guère le temps d'y penser ! La direction douce et précise et la très bonne tenue de route servent l'excellente motricité de ces voitures, avec la sécurité d'un freinage efficace.
Trois versions sont au catalogue : 2002 (100 ch), 2002 ti (120 ch) et tii - remarquez l'habileté de l'appellation qui, en doublant la " mise ", la rend très percutante. La différence de puissance tient pour l'essentiel à l'alimentation : un carburateur Solex pour la première et deux double corps du même fabricant pour la deuxième. Quant à la 2002 tii, elle offre 130 ch grâce à l'injection Kugelfischer. Brillant haut de gamme de la génération 02, elle emporte ses passagers à 190 km/h, une excellente performance pour l'époque rendue possible par son remarquable rapport poids-puissance de 7,6 kg/ch. Ajoutons qu'une boîte de vitesses automatique ZF à trois rapports est disponible en option sur la 2002.
Base idéale pour les préparateurs allemands, la 2002 a brillé sur tous les circuits et remporté de nombreux trophées. La création par BMW de sa filiale compétition, Motorsport, date d'ailleurs de 1973. Les réalisations les plus marquantes sont la 2002 Alpina atmosphérique, dont les performances sont proches de celles de la Turbo de série, et la Schnitzer seize soupapes de 255 ch à injection - cette dernière étant une exclusivité du préparateur avant la sortie de la 2002 tii. En version groupe 5, la Schnitzer turbocompressée atteindra 400 ch !
Enfin, lancée en 1973, soit en plein choc pétrolier, l'impressionnante et très provocante 2002 Turbo trône sur les sommets. La conjonction de l'injection Kugelfischer et d'un turbo KKK permet de délivrer 170 ch. La voiture dépasse les 210 km/h et abat le 0 à 100 km/h en huit secondes. Mais son statut particulier apparaît plutôt comme celui d'une idole fantasmatique génératrice de rêves... et de commandes pour les modèles plus sages de la gamme.
Un prototype expérimental de GT à moteur central, au séduisant design dû à Paul Bracq, apparaît en 1972. Equipé du moteur deux litres de la Turbo poussé à 280 ch, il intègre des équipements de sécurité - dont les faces avant et arrière rétractables - et prouve que cette préoccupation n'est pas incompatible avec les performances et l'esthétique.
Une philosophie moderniste
BMW a conçu cette génération de modèles sur une idée de modernité fondée avant tout sur la notion d'efficacité. De ce postulat de base dérive la sobriété du design et de l'équipement, qui dédaigne tout effet tapageur. Ceci suppose le rejet du luxe, et même d'un confort excessif supposé alanguissant - sous-entendu, ce dernier est réservé à des personnes d'un certain âge. De fait, une BMW 02 ne brille pas par son confort, et la sécheresse de la suspension comme la dureté des sièges s'adressent à une physiologie épargnée par l'ouvrage du temps. Dans le même esprit, une voiture de grand gabarit véhicule une image de senior sans rapport avec la cible visée. Par ailleurs, une BMW 02 paraît mieux adaptée aux conditions modernes de circulation. Agile, puissante et facile à conduire, elle saura se dégager plus aisément d'un trafic intense.
La sécurité apparaît également comme un volet de la modernité. Pour BMW, elle est surtout active et passe par la vigueur des reprises et l'ensemble des qualités dynamiques de la voiture : " une automobile sûre est rapide ", met en avant la publicité. L'indéformabilité de l'habitacle en cas de choc et l'excellente visibilité procurée par un pavillon très clair concourent également à rassurer l'acquéreur.
Il est intéressant de noter que ce discours moderniste mêle des arguments relevant de l'idéologie de l'efficacité et de la rentabilité en même temps qu'il contient les prémisses d'idées developpées plus tard par les écologistes. Un dépliant commercial de la fin des années soixante, non dénué de la naïveté et du charme des publicités étrangères de cette époque par sa traduction approximative, proclame : " Une automobile moderne peut renoncer à certains détails d'équipement, a deux portes, se passer aussi d'un peu d'espace et de chrome mais pas de réserves de puissance... " (en "français" dans le texte !). Ces lignes, aux accents de manifeste, corroborent tout à fait les impressions que procure l'analyse d'une BMW 02.
La réussite de la marque et de ses clients
C'est toute une génération de jeunes bourgeois aisés qui s'est reconnue dans les BMW 02 et les a plébiscitées. Répondant parfaitement à leur besoin de représentativité, elles furent par excellence les voitures des jeunes cadres et dirigeants de PME, ainsi que des juniors des professions libérales. Les BMW 02 ont séduit cette population par leur image de modernité, alliant un excellent niveau de performances - symbole de sportivité et de dynamisme - à un encombrement restreint parfaitement adapté à un jeune couple ou à un célibataire soucieux de son image de marque.
Le phénomène fut d'autant plus important pour la firme qu'elle a pu fidéliser une clientèle à la longue espérance de vie et au pouvoir d'achat croissant. En cela, BMW a largement profité d'une période démographiquement très favorable, celle qui correspondait aux débuts professionnels des diplômés issus du baby boom de l'après-guerre. Parallèlement, l'époque était très faste du point de vue économique. La croissance des Trente Glorieuses se poursuivait (les chocs pétroliers ne viendront qu'à partir de 1973) et la montée en puissance de la CEE produisait ses fruits dans un contexte d'internationalisation grandissante.
Ainsi est née l'image moderne de BMW et de sa célèbre calandre, dévorant sur l'autoroute les misérables voitures des gens ordinaires... Au volant, un homme sûr de lui et dominateur, dont l'assurance, qu'il tire de sa réussite sociale, l'amène à croire qu'il appartient à l'élite des gagneurs. Se comportant sur la route comme dans son job, il veut être parmi les meilleurs dans la compétition de la vie...
La génération 02 a été un élément déterminant de la renaissance de BMW et de son prodigieux décollage, lui permettant d'atteindre assez rapidement le statut de grand constructeur. Outre qu'elle a permis à la firme de réaliser de substantiels bénéfices, elle a fortement contribué à la fondation du mythe BMW de l'ère moderne, qui continue d'auréoler le logo bleu et blanc à l'hélice. Une recette qui, reprise avec succès et amplifiée, continue d'inspirer aujourd'hui la marque de Munich.
Note au lecteur : ce guide ayant été publié le 13/08/2002, les prix indiqués pour les pièces et la côte des véhicules risquent de ne plus refléter l'état actuel du marché.