Rétromobile 2004

ROLLS-ROYCE Phantom I Gasque

Gilles Bonnafous le 13/02/2004

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La Rolls-Royce Phantom I exposée à Rétromobile 2004 est unique. Décorée comme un salon de la fin du XVIIIe siècle, elle est la Rolls-Royce la plus chère jamais construite.

Lancée en 1925, la New Phantom 40/50 HP, ultérieurement baptisée Phantom I, succède à la Silver Ghost. Jusqu’en 1929, année où elle s’effacera au profit de la Phantom II, elle fera admirer l’incroyable silence de son moteur, ainsi que son absence totale de vibrations grâce aux amortisseurs dont est doté le vilebrequin à sept paliers. On ne saurait oublier que les essais de développement du modèle ont été entièrement réalisés en France, à Châteauroux, où Rolls-Royce avait créé une base dans le plus grand secret, d’où les voitures partaient pour de longues rotations sur les routes de l’hexagone.

La Phantom I exposée à Rétromobile est hors du commun. Même pour une Rolls-Royce. Elle doit son caractère unique à son habitacle décoré à l’image d’un salon de la fin du XVIIIe siècle. Qu’on apprécie ou non le parti pris et le style de la décoration, on ne peut nier qu’il s’agit d’une voiture exceptionnelle.

ROLLS-ROYCE Phantom I Gasque ROLLS-ROYCE Phantom I Gasque

Livrée en mai 1927 (châssis n°76 TC l), la Phantom I a reçu une carrosserie Brougham de Ville réalisée par Charles Clark & Sons de Wolverhampton. Passée en 1926, la commande très spéciale émane de C.W. Gasque, un Américain résidant à Londres, où il dirige les magasins Woolworth. La voiture est le cadeau surprise qu’il souhaite faire à son épouse, sans doute pour une circonstance d’importance vu la splendeur du présent !

Grâce à une lettre (un document rare et précieux) adressée par C.W. Gasque à M. Barnett, le directeur de Charles Clark & Sons, on connaît l’historique précis de la transaction. Le budget accordé au carrossier est sans limites ! De même, le design comme la décoration sont laissés à la discrétion de Charles Clark & Sons. La seule exigence formulée par le client concerne l’intérieur, qui devra trahir un « french feeling » — C.W. Gasque s’intéresse à l’art français en raison de ses origines. Si ce dernier veut surprendre son épouse, il semble qu’il souhaite participer pleinement à la surprise. En effet, il n’entend pas voir la voiture avant qu’elle ne soit terminée ! Un pari risqué !

Carrossier moyennement connu, Charles Clark & Sons n’a aucune expérience d’un tel travail, que la maison exécute pour la première fois. M. Barnett se rend au Victoria and Albert Museum de Londres pour se documenter. Il y remarque une chaise à porteurs au plafond peint réputée avoir appartenu à Marie-Antoinette. Il demande à un artiste français travaillant à Londres de s’en inspirer pour peindre le plafond de la Phantom. Le thème retenu est l’amour, avec maintes figures de Cupidon et de chérubins. C’est un pastiche du XVIIIe siècle, un cocktail de goût anglais et de style français.

Barnett commande les tapisseries de la banquette et des strapontins à Aubusson. La facture sera supérieure à 500 £, une fortune (le prix d’une maison à Londres). Elles ne seront terminées que neuf mois plus tard, ce qui explique le délai anormalement long (dix mois et demi) qui s’écoule entre la commande de la voiture et sa livraison. Qu’il s’agisse de la sellerie, de l’ébénisterie, de la marqueterie ou des diverses poignées tout spécialement moulées, le travail est d’une qualité exceptionnelle. Le prix de la Phantom en témoigne, qui est supérieur d’au moins 50% à celui d’une Rolls-Royce classique.

C.W. Gasque meurt un an et demi après avoir pris possession de la voiture. Après la disparition de son époux, Mme Gasque se servira très peu de la Phantom, qui passera le plus clair de son temps au garage. En souvenir de son mari, elle la gardera néanmoins jusqu’à sa mort en 1952.

L’exceptionnelle Rolls-Royce est alors acquise par M. Sears, le plus important collectionneur britannique de modèles de ce type — il est issu d’une riche famille qui contrôle pratiquement tous les magasins de chaussures d’Angleterre ! S’il vendra plus tard sa collection par l’intermédiaire de Christie’s, il gardera la Rolls-Royce. Ce n’est qu’ultérieurement, en 1986, qu’il s’en dessaisira au profit d’un Japonais. Elle passera ensuite entre les mains d’un Américain, qui la vendra en 2003 à l’actuel propriétaire, Charles Howard.

Depuis que sa première voiture de collection, achetée en 1968, fut une Phantom I de 1926, Charles Howard est sentimentalement attaché à ce modèle. De plus, il y a longtemps qu’il connaît la Rolls-Royce de C.W. Gasque. Il l’a découverte à la fin des années soixante dans un livre français intitulé « Les plus belles voitures du monde ». Il en a rêvé… En 1972, il l’a retrouvée à la faveur d’un concours d’élégance organisé à Kensington Garden. Son troisième rendez-vous avec la belle sera le bon : ce sera pour l’acheter !

La Phantom I n’a jamais été restaurée, à quelques détails près. M. Sears a mis sa patte en faisant installer un cannage sur les portes afin d’alléger la noirceur des flancs. Quant à Charles Howard, il a fait monter des roues à disque en lieu et place des roues à rayons. Peu de choses en somme, et qui ne concernent pas l’habitacle, lequel est demeuré dans son état d’origine. A l’image des strapontins en tapisserie d’Aubusson, qui, non exposés à la lumière, ont gardé la fraîcheur de leurs coloris. Et à ce titre constituent un précieux témoignage sur le travail des liciers creusois des années vingt. Par ailleurs, celle qui peut revendiquer le titre de Rolls-Royce la plus chère jamais construite est également l’une de celles qui ont le moins roulé : 16 000 kilomètres en 77 ans…

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