Mondial de Paris 2000

Interview de Philippe Guedon (Matra)

Gilles Bonnafous le 30/09/2000

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PDG de Matra Automobile et créateur de l'Espace, Philippe Guédon nous parle de ses projets et nous livre ses réflexions sur l'automobile de demain.

PDG de Matra Automobile et créateur de l’Espace, Philippe Guédon nous parle de ses projets et nous livre ses réflexions sur l’automobile de demain.

Motorlegend : Vous présentez la M 72 comme le " chaînon manquant " entre le deux roues et l’automobile. Parlez-nous de ce nouveau concept.

Philippe Guédon : Depuis que Matra existe, c’est-à-dire depuis plus de trente ans, nous travaillons sur des idées, des rêves, des phantasmes, qui deviennent ensuite des projets, puis finalement des voitures bien réelles. La première idée, initiée par Jean-Luc Lagardère, était de construire des voitures pour les jeunes, c’est-à-dire des engins à bas prix ayant un fort pouvoir attractif et distinctif. Qualités qu’ils trouvent dans la moto. Entre cette dernière, qui les séduit, et la voiture, qui parfois les déçoit, nous pensons qu’il y a place pour un véhicule comme la M 72. Elle permet de marier l’attraction, l’ouverture, le grand air et la visibilité de la moto avec la sécurité qu’offre l’automobile. Avec la M 72, nous passons du rêve à la réalité.

La deuxième raison à l’existence de cette voiture tient à ceci : notre période est marquée par une augmentation vertigineuse de la complexité automobile. Nous souhaitions un retour aux sources, à la simplicité incarnée en son temps par la 2 CV, dont les concepteurs ont procédé à une remise à plat et repensé le phénomène du déplacement.

 Interview de Philippe Guedon (Matra)  Interview de Philippe Guedon (Matra)

Motorlegend : Comment situez-vous la M 72 par rapport à la BMW C1 ?

Philippe Guédon : Les deux véhicules procèdent de la même démarche, réaliser une synthèse entre l’automobile et la moto. Nous avons centré notre étude sur la première, BMW sur la seconde. Les deux produits sont complémentaires. A l’évidence, ils partagent une même préoccupation de sécurité. Il ne faut pas oublier qu’à kilométrage égal, il y a six fois plus d’accidents en moto qu’en voiture.

J’ajoute que la M 72 reçoit une mécanique de moto à la pointe de la modernité : quatre soupapes par cylindre et injection électronique. La légèreté de la voiture lui offre de remarquables accélérations, tandis qu’elle bénéficie d’une conduite simple et décontractée grâce à la transmission à variation continue.

Motorlegend : Quels sont vos perspectives de commercialisation ?

Philippe Guédon : Nous avons travaillé sur ce projet pendant très longtemps sans réussir à résoudre l’équation attraction-technologie-prix abordable. Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être parvenus à une solution intéressante. Nous profitons du Mondial de l’Automobile pour juger les réactions du public et procéder à des tests commerciaux. La fourchette de prix se situera entre 6400 € et 8300 €.

Motorlegend : Vous êtes sur le point de produire l’Avantime. Au-delà de ce contrat conclu avec Renault, quel est l’avenir de Matra Automobile ?

Philippe Guédon : Il est de demeurer un constructeur de séries moyennes, ajoutant à la production européenne des véhicules différents pour une clientèle de gens ayant des goûts différents. Si elles se complexifient à partir de plates-formes communes, les gammes des grands constructeurs ne permettent pas d’atteindre tous les " recoins " du marché. Les constructeurs ressentent donc le besoin de passer des accords avec des spécialistes comme nous.

Motorlegend : Quels sont vos projets de modèles au-delà de la M 72 ?

Philippe Guédon : Nous avons deux projets en gestation, l’un avec Renault, l’autre avec un autre constructeur. Nous espérons passer d’une production monoproduit à la construction de trois modèles.

Motorlegend : L’Espace a créé en Europe le marché des monospaces, tout comme il a permis l’émergence de véhicules monocorps. Il influence même la berline comme le montre la future remplaçante de Safrane. Quel est pour vous l’avenir de la berline classique ?

Philippe Guédon : Je me méfie toujours de l’esprit de système. A partir de la Mini, qui était une voiture géniale, BMC a décliné la 1100, qui était moins bien, puis la 1800, un modèle très médiocre, et enfin la 3 litres, qui fut une catastrophe. Je ne suis donc pas de ceux qui font une fixation sur la monocorps. Même si cette dernière fait école : elle s’extrapole et " s’intrapole " en des versions plus petites et plus grandes. Mais la berline n’est pas morte. Elle permet notamment d’accueillir les six cylindres en ligne (les mieux équilibrés) en position longitudinale. Car pour cela, il faut un capot.

Motorlegend : L’époque actuelle se caractérise par la variété des concepts et des formes des véhicules. Quel regard portez-vous sur cette évolution et comment voyez-vous le paysage automobile à l’horizon 2010 ?

Philippe Guédon : Coco Chanel disait : " La mode passe, le style reste ". L’évolution se fait en direction d’une meilleure disposition architecturale, afin de donner la meilleure place aux occupants plutôt qu’aux éléments mécaniques. Nous allons vers un compactage de ceux-ci. Quant aux énergies qui prendront le dessus, cela dépend largement de décisions politiques. Je pense toutefois que la propulsion électrique finira par l’emporter grâce à ses multiples avantages : propreté, silence, longévité, absence de vibrations. De plus, elle se marie mieux avec l’électronique que le thermique et l’hydraulique (l’évolution des robots en témoigne). Qui donnera la source ? Aujourd’hui, on ne le sait pas. Ce qui est sûr, c’est que l’architecture sera remise en cause. Avec des moteurs compacts ou placés dans les roues, la propulsion électrique entraînera un bond architectural.

Motorlegend : Grâce à vous et à Renault, la France se distingue aujourd’hui par sa capacité d’innovation conceptuelle et de création je dirai " architecturale " de l’automobile – un rôle innovateur et un anticonformisme jadis apanage de Citroën. Comment jugez-vous les chances de l’automobile française dans le contexte de la mondialisation ?

Philippe Guédon : Renault se distingue indiscutablement par sa grande capacité créatrice et innovante et la marque a su en faire une réalité industrielle. Quant au second groupe français, émoustillé, il est en train de réagir. Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que la course à la taille soit la panacée (à partir d’un certain niveau, cela va de soit). Les super mammouths finissent par mourir dans l’immobilisme. La France me paraît donc bien placée dans le contexte de mondialisation, grâce notamment à Renault et à Nissan, qui donnent à notre pays la couverture géographique qui lui manquait. Je suis frappé par la déconfiture des constructeurs américains sur le marché européen. Cela prouve que le marketing ne suffit pas pour réussir dans l’automobile et que le génie créateur est indispensable.

Motorlegend : Pensez-vous que PSA puisse assurer son avenir et " gagner " sans être lié à un groupe de taille mondiale ?

Philippe Guédon : Certainement. Car je pense que l’on fait une erreur de diagnostic. Les gros investissements, ceux qui coûtent le plus cher, ce ne sont pas les plates-formes, mais les composants : moteurs, boîtes de vitesses et suspensions. Une politique intelligente de coopération dans ces domaines doit permettre d’atteindre le même objectif qu’au sein d’un groupe. De plus, si vous souhaitez dépasser une certaine quantité de pièces produites par jour, il vous faut multiplier les outillages. C’est l’une des raisons pour lesquelles je m’honore d’avoir été l’un des premiers à dire que la voiture mondiale était une ânerie de dimension olympique. D’abord parce que tous les gens n’ont pas les mêmes goûts, ni les mêmes habitudes de vie, ni le même pouvoir d’achat. Ensuite parce que lorsque vous vendez en Asie, vous n’allez pas fabriquer aux Etats-Unis. Vous êtes donc amené à diversifier vos usines, donc les outillages, et quand vous faites la somme de vos investissements, vous vous rendez compte que l’affaire n’est pas intéressante.

Motorlegend : Philippe Guédon, vous avez inscrit votre nom dans l’Histoire en révolutionnant l’automobile européenne avec l’Espace. Quel est aujourd’hui votre désir de créateur automobile ?

Philippe Guédon : Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les voitures simples et pas cher, qui sont les plus difficiles à concevoir et à construire. En tant qu’ingénieur, je préférerais terminer ma carrière en étant le créateur de la 2 CV du futur que celui d’une nouvelle Ferrari 16 cylindres à trois turbos. Ce qui compte, c’est l’économie des moyens pour l’importance du résultat. Je suis un admirateur inconditionnel du transat : créer, avec quelques bouts de bois et un morceau de tissu, un siège léger, économique, qui se range facilement et sur lequel vous pouvez soit vous asseoir, soit vous allonger, c’est ça le génie.

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