Shelby story
Mécanicien de grand talent, pilote de course, éleveur de poulets et dresseur de cobras, Carroll Shelby a été tout cela à la fois. Il nous a quitté le 10 mai 2012 au Texas.
sommaire :
SHELBY Cobra Daytona
Gilles Bonnafous le 15/07/2003
En 1963, Carroll Shelby se rend compte qu'il ne pourra battre Ferrari et remporter le Championnat du monde des constructeurs avec son roadster Cobra. Pour des raisons aérodynamiques (les fortes turbulences régnant au-dessus du pare-brise), ce dernier est pénalisé par sa vitesse de pointe (280 km/h), en particulier sur les circuits rapides comme Le Mans. Dans la Sarthe, la voiture rend au moins 10 km/h à la Ferrari GTO sur la ligne droite des Hunaudières.
1963 : le châssis revêtu du mannequin en bois. D.R
Le coupé en voie d'achèvement en 1964. D.R
Carroll Shelby décide donc de mettre en chantier un coupé, seul capable de réaliser son objectif, vaincre le Cavallino. La conception de la future voiture est confiée à Pete Brock, qui a travaillé à la General Motors sur la Corvette Sting Ray. Agé de 26 ans seulement, il est aussi un pilote de bon niveau et est devenu directeur de l'école de pilotage Shelby. Les deux autres artisans du coupé Cobra sont Phil Remington, ancien ingénieur des Scarab, et Ken Miles, qui réalise les essais en piste et le développement aérodynamique. C'est ce dernier qui, dans l'équipe, décide pour Carroll Shelby.
Le coupé Cobra, ultérieurement baptisé Daytona, est terminé à l'automne 1963. Les premiers tests sont réalisés deux mois avant la course de Daytona de 1964. Ils ont lieu à Riverside, où la voiture pulvérise le record du tour. La voiture reçoit le moteur Ford V8 de 289 ci (4,7 litres) du roadster. Développant 380 ch, il jouit d'une remarquable souplesse et sa puissance est disponible dès 3500 tours, par opposition au V12 beaucoup plus pointu de la Ferrari GTO, la grande rivale de la Cobra. La boîte de vitesses Borg Warner de type T10 ne possède que quatre rapports, mais le couple énorme du V8 compense l'absence de cinquième vitesse. Le pont Salisbury est doté d'un autobloquant.
A Daytona en 1964. D.R
Phil Hill à Goodwood 1964. D.R
Constitué de gros tubes en forme d'échelle, le châssis est renforcé par un treillis tubulaire. A l'avant comme à l'arrière, la suspension fait appel à un ressort à lame transversal, tandis que le freinage est confié à des disques pleins. Côté carrosserie, diverses solutions ont été imaginées et testées, notamment une longue queue comme on verra plus tard sur les Porsche 917. Finalement, c'est l'arrière tronqué qui est retenu, dépourvu d'aileron aérodynamique malgré l'insistance de Pete Brock. Ce n'est qu'à Spa en 1964 que ce dernier aura partiellement gain de cause avec l'installation d'un becquet, le besoin s'étant fait sentir, sur le rapide circuit belge, d'un appui supplémentaire à l'arrière. Copié sur la GTO, le becquet devra d'ailleurs être raboté car, tel quel, il donnait trop d'appui, rendant la voiture inconduisible. On remarquera également que la forme ovoïde des globes de phares est inspirée de la GTO. Quant au cockpit, il a causé beaucoup de soucis aux géniteurs de la Daytona, son refroidissement ayant représenté l'un des principaux problèmes de mise au point de la voiture. A noter que cette bête de course ne possède pas de poignées de portes. On y pénétre donc en glissant le bras par le coulisseau de la vitre en plexiglas.
Jo Schlesser au Nürburgring 1964. D.R
Sebring 1964. D.R
Six coupés 289 ci sont construits en 1964 et 1965 (sans parler du prototype 427 à moteur sept litres). Ils existent toujours et sont aujourd'hui la propriété de collectionneurs. Le premier d'entre eux est construit aux Etats-Unis, puis les carrosseries en aluminium des cinq exemplaires suivants sont réalisées en Italie, à la Carrozzeria Gran Sport située à Modène ! Une vraie provocation !
Les pilotes Shelby sont Ken Miles, Dan Gurney, Bob Bondurant, Bob Holbert, Davey McDonald et Jo Schlesser. Maurice Trintignant, qui l'a pilotée aux 24 Heures du Mans et au Tour de France, ne tarit pas d'éloges sur la voiture. La Daytona va remporter de nombreuses épreuves du Championnat du monde des constructeurs, qui se court dans la catégorie GT. En 1964, si la première sortie à Daytona se solde par un abandon, le premier succès intervient dès Sebring (équipage Holbert-McDonald). Il sera suivi des victoires (en catégorie GT) aux 24 Heures du Mans, où la Daytona de Dan Gurney et Bob Bondurant s'impose devant les Ferrari GTO, et au Tourist Trophy couru à Goodwood. La Daytona abandonnera à Spa, à Reims et au Tour de France automobile, où elle a été engagée par Henri Chemin. Mais la voiture n'était pas préparée pour les courses sur routes ouvertes. Très remonté contre Ferrari, Carroll Shelby déclare volontiers que le Commendatore a fait annuler l'épreuve de Monza pour priver les Cobra d'une victoire en terre italienne.
Grant-Schlesser au Mans 1965 D.R
Thompson-Sears au Mans 1965 D.R
Ce n'est que partie remise, et en 1965, la Daytona enlève le titre suprême, triomphant dans sept des treize manches du championnat : Daytona, Sebring, Monza, Nürburgring, Reims, Enna et Bridgehampton, tandis que le roadster gagne à Oulton Park (Tourist Trophy) et au Rossfeld. Carroll Shelby a réalisé son rêve, battre Ferrari.
Mais la Daytona ne s'est pas seulement montrée supérieure à la GTO. Elle a également vaincu la Ford GT 40 à plusieurs reprises, dans la période où Ford confiait son programme GT à Holman and Moody, un spécialiste qui faisait courir les voitures de Dearborn en stock-cars. Quand Ford s'est rendu compte que la Daytona battait ses propres GT, le constructeur a confié son programme course à Carroll Shelby, qui dut retirer sa voiture. Ainsi s'explique la carrière écourtée de la Daytona. Tout comme le destin avorté du prototype de coupé 427 (sept litres) prévu pour courir au Mans en 1965 et qui sera sacrifié à la Ford GT Mk II. Non terminé, il n'a jamais connu la piste. La voiture sera finalisée ultérieurement par un collectionneur.
Le spectacle souvent offert aux Ferrari GTO en 1965. D.R
A Daytona en 1965. D.R
Avant sa retraite, la Daytona est conduite sur le Lac Salé de Bonneville dans l'Utah. Pilotée notamment par Craig Breedlove, elle bat, en novembre 1965, 23 records en départ arrêté et lancé dans la classe C. Elle tourne notamment pendant douze heures à la moyenne de 273,5 km/h. Ce sera la dernière prestation d'une Daytona sous les couleurs de Shelby American.
Notons qu'à l'initiative de Robert Sarrailh, un coupé Daytona a été réalisé il y a quelques années dans un atelier du Mans. Construite sur un châssis de roadster d'époque avec l'aval de Carroll Shelby et sous le contrôle de Pete Brock, la voiture participe à des épreuves historiques comme le Tour Auto et l'Age d'Or.
Pete Brock et son assistant achèvent la maquette en clay du prototype 7 litres (1964). D.R
Prototype coupé 7 litres. D.R