Saga Pegaso
Rarement dans l’histoire, une marque automobile aussi éphémère aura laissé dans son sillage un parfum aussi corsé que Pegaso.
sommaire :
Histoire : Historique Pegaso
Gilles Bonnafous le 01/01/2004
Marque mythique à l’existence météoritique, Pegaso apparaît comme une proposition insolente, voire une provocation, dans l’Espagne du début des années cinquante. Un pays isolé du monde par son régime honteux, où la paix sociale ne tient que par la terreur de l’appareil d’Etat et où le revenu par habitant est l’un des plus bas d’Europe. Où ne roulent sur des routes défoncées que des camions d’un autre âge crachant des nuages de fumée noire, quelques voitures épuisées de l’entre-deux-guerres et de vieilles motos attelées transportant des familles entières ! Au même moment, l’Europe entame sa motorisation de masse...
Les autocars Monocasco D.R
La Sagrera D.R
Après le cauchemar de la guerre civile, l’heure est à la reconstruction. Le gouvernement franquiste crée en 1941 l’INI (Instituto Nacional de Industria) pour tenter de relancer et d’organiser l’industrie. Au programme de ce dernier figure la fondation d’une industrie automobile, c’est-à-dire la construction de véhicules industriels, camions et autocars. Quatre marques y sont intéressées, Saurer, Alfa Romeo, Fiat et Hispano Suiza. Préférence nationale oblige, Hispano Suiza est choisie. On travaille sur un camion de six tonnes motorisé par un six cylindres, dont les prototypes sont exposés en 1945 à la Foire de Barcelone.
Ingénieur espagnol de talent, Wifredo Ricart quitte Milan, où il travaillait pour Alfa Romeo, et rentre au pays en décembre 1945. Il crée en janvier 1946 le CETA (Centro de Estudios Tecnicos de Automocion), dont il prend la direction et dont l’objectif est de développer la production de camions et de fonder la société qui les construira. Ainsi naît l’ENASA (Empresa Nacional de Autocamiones SA), une entreprise nationale d’économie mixte fondée le 21 octobre 1946. Hispano Suiza lui apporte son usine de La Sagrera, située à Barcelone, ses projets et ses licences de véhicules industriels. De l’usine, qui a été modernisée, sortent en 1946 quelques camions commercialisés sous la marque Hispano Suiza.
Pegaso Z102 D.R
Pegaso Z102 D.R
En 1947, l’ENASA décide de commercialiser ses produits sous la marque Pegaso. Le célèbre Pégase de la mythologie grecque est choisi pour sa rapidité et son agilité. Mais pour se démarquer de la Mobil Oil, le logo de la marque prive l’équidé de ses ailes, un comble pour un Pégase ! Non cabré (on devine pourquoi…) et inscrit dans le cercle d’une roue, le cheval effectue une figure de la célèbre école d’équitation de Vienne (école espagnole).
Wifredo Ricart crée bientôt un département automobile pour construire une GT de prestige. Ce sera la Z102 dévoilée au salon de Paris de 1951, où son magnifique V8 étonne le monde. Fabriquées au compte-gouttes et à la main, souvent selon les souhaits de leurs clients fortunés — généralement des personnalités en vue —, les Pegaso seront toutes uniques ou presque.
Z102 Touring et Saoutchik D.R
Franco en visite à l'ENASA D.R
Ricart souhaite aller plus loin et prouver les qualités de sa voiture en compétition. Un premier engagement intervient en 1952 au Grand Prix de Monaco couru cette année-là en formule Sport. Hélas, les affaires débutent mal, un échec prémonitoire pour la suite. Terminées à la hâte, les deux berlinettes alignées aux essais ne parviennent pas à se qualifier en raison de problèmes de freins et de circuit d’huile.
Le V8 de 3,2 litres suralimenté par un compresseur de type Roots, qui lui permet de développer 270 ch, est ensuite placé dans une magnifique barquette carrossée par Touring, qui file à plus de 250 km/h. Fort de cette arme, Ricart se lance à la conquête des 24 Heures du Mans. Deux barquettes sont engagées en 1953, mais le pilote Juan Jover sort de la piste aux essais à plus de 200 km/h, cette déconvenue ayant pour conséquence le retrait de la seconde Pegaso, qui devait être pilotée par Palacio et Roh. L’année suivante, une autre barquette Touring, toujours à moteur 3,2 litres compressé, prend part à la Course Panaméricaine. Pilotée par Palacio et Fernandez, elle se hisse à la troisième place avant de sortir de la route dans la quatrième étape.
D.R
Les différentes versions de la Z102 dans la cour de l'usine en février 1954. D.R
Jusqu’en 1955, les spiders 3,2 litres suralimentés seront alignés dans les grandes épreuves internationales : Reims, Montlhéry, circuits de Madrid et de Montjuich en Espagne, etc. Mais par la faute de la fiabilité problématique du V8, ils ne pourront démontrer leur potentiel. Et ne disposant pas de moyens financiers suffisants, Pegaso ne pourra réellement faire ses preuves en course.
La diffusion des Pegaso est par ailleurs handicapée par leur prix de vente prohibitif et un entretien qui s’avère assez problématique. La marque est également pénalisée par un manque cruel d’organisation, l’absence d’une vraie politique de compétition, et elle ne doit sa survie qu’au bon vouloir du régime du caudillo.
Pegaso Z-102 à la Carrera Panamericana de 1954 D.R
Joaq Palacio sur Pegaso Z-102 à la Copa Monjuic, 1954 D.R
Ces difficultés entraînent le désengagement progressif de l’ENASA, qui restreint les crédits — avant de les couper. Une situation qui aboutit en 1955 au lancement de la Z103, dotée d’un V8 simplement culbuté. Deux ans plus tard, sonne l’hallali des Pegaso. Les technocrates, qui remplacent les militaires au gouvernement et donc à l’ENASA, font « la chasse aux gaspis ». Activité non rentable, la Z102/Z103 est sacrifiée, l’entreprise concentrant alors toute son activité sur la production de poids lourds.
Comble de la sottise, le matériel restant est envoyé à la casse, dont un prototype, et les archives sont détruites. Une catastrophe. C’est l’une des raisons pour lesquelles il reste encore à découvrir sur ces automobiles hors du commun. Contrairement aux grands constructeurs de modèles sportifs de prestige dont l’histoire est bien connue, Pegaso, dont l’exclusivité des voitures n’a d’égal que leur rareté, conserve encore une part de mystère.
Z 102 D.R
Don Juan de Bourbon et Wilfredo Ricart au Salon de Paris de 1955, devant le nouveau moteur de la Peg D.R