Saga Cisitalia
Piero Dusio aurait pu être un Enzo Ferrari. Il a marqué l’automobile en créant la 202, un modèle mythique.
sommaire :
Histoire : Piero Dusio
Gilles Bonnafous le 22/03/2007
Piero Dusio est un personnage qui ne laisse pas indifférent. Il fait partie de ces capitaines doués d’un enthousiasme et d’une aura qui entraînent et fascinent. Commerçant avisé devenu riche industriel, cet ardent entrepreneur passionné d’automobiles naît à Scurzolengo d’Asti le 13 octobre 1899, un an après Enzo Ferrari. Représentant en tissus à 20 ans, propriétaire à 27 ans de la première entreprise italienne de toiles cirées, le puissant homme d’affaires investira une partie de sa fortune dans la création de Cisitalia.
Sportif et footballeur — il sera président de la célèbre Juventus de Turin —, Piero Dusio est aussi un pilote de talent. Amateur certes, mais doté d’un palmarès non négligeable, qui le verra s’imposer devant des pilotes professionnels. A trente ans, il est au volant d’une Maserati avec laquelle il va connaître son premier grand bonheur : le titre de champion d’Italie amateur.
Piero Dusio sur Maserati 3000 C à Monaco en 1935 D.R.
Piero Dusio à San Remo en 1937, 2nd au classement général D.R.
Il participe au Grand Prix de Monaco de 1935 sur Maserati trois litres et ses places d’honneur sont nombreuses dans des épreuves de haut niveau. Deuxième en 1929 de l’épreuve Aoste-Grand Saint-Bernard, il termine troisième en 1935 dans la course de côte du Stelvio, une grande classique alpine où il se classe derrière Tadini, imbattable en montagne, et le « campionissimo » Tazio Nuvolari. Il prend la sixième place au Grand Prix d’Italie l’année suivante. En 1937, il est deuxième à San Remo sur Maserati 1500, cinquième au Grand Prix de Tripoli et remporte une victoire de classe aux Mille Milles au volant d’une Siata.
En 1938, Piero Dusio fonde une écurie baptisée « Torino », qu’il équipe de quatre Maserati 1500, des voitures très compétitives dont l’une est confiée à Piero Taruffi. Ainsi naîtra une amitié, qui s’avérera des plus profitables quand il lancera sa marque huit ans plus tard.
Piero Dusio à Turin en 1937 D.R.
Piero Dusio à Turin en 1937 sur Maserati 1500 D.R.
A la fin des années trente, les monoplaces italiennes étant dépassées par les Auto Union et les Mercedes allemandes, les Italiens se concentrent sur la catégorie Sport, où règne l’Alfa Romeo 8 C 2900 à compresseur.
Piero Dusio s’adjuge la troisième place absolue aux Mille Milles de 1938 derrière Biondetti et Pintacuda, une consécration pour un amateur. Ce succès est suivi d’une victoire au Stelvio sur la même voiture, devant Pintacuda, vainqueur de l’édition précédente.
Piero au GP de Tripoli D.R.
Piero, 1er au classement général au Stelvio sur Alfa Romeo 2900 en 1938 D.R.
Piero Dusio réalise son rêve en créant sa propre marque à Turin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Cisitalia. Pour réussir, il met toutes les chances de son côté en s’entourant des meilleures compétences. Dante Giacosa, l’un des plus grands ingénieurs de l’automobile, homme de Fiat et auteur de la fameuse Topolino, va créer la remarquable monoplace D 46.
Il sera suivi par Giovanni Savonuzzi, autre ingénieur de grand talent qui travaillera ensuite pour Chrysler. Et c’est Piero Taruffi, le champion transalpin, qui sera son conseiller pour la compétition. Il sera également le pilote d’essai de la marque et le pilote maison de la D 46.
Piero aux Mille Milles 1938 sur Alfa Romeo 2900 C D.R.
A la course Sassi Superga en 1940 D.R.
Tandis que son fils Carlo lui succède à la tête de la firme au début des années cinquante, Piero Dusio s’installe en Argentine, qu’il considère comme une terre promise. Son but est de construire une Cisitalia outre-Atlantique en transférant l’essentiel des installations de la marque — qui deviendra là-bas Autoar. Sans succès.
Dante Giacosa définissait Piero Dusio comme un homme plein d’optimisme, bourré d’énergie, volontaire et doté d’un irrésistible enthousiasme. Exubérant, il était aussi impulsif. Pour preuve, la manière dont il choisit le bouquetin comme logo de la marque : en un clin d’œil en consultant la page héraldique d’une encyclopédie ! L’image lui plut, sans doute parce qu’elle représentait l’agilité et symbolisait le Piémont, les pattes arrière plantées dans la terre et la tête pointée vers les sommets…
D.R.
La 202 en 1948 aux Mille Milles D.R.
L’homme était également doué d’une obstination féroce, une qualité qui peut se retourner en grave défaut. Elle conduira Cisitalia à sa perte. La conception et la construction de la Formule 1 type 360 seront poursuivies contre toute raison, débouchant sur un gouffre financier. La voiture engloutira les ressources de l’entreprise, qui manquera de moyens pour développer des modèles commerciaux à partir de la 202, dont la cote et le prestige étaient grands.
Piero Dusio aurait pu être un Enzo Ferrari. Il a sans doute pêché par impatience, par manque de sagesse et de clairvoyance dans la gestion de la montée en puissance de sa marque. Il n’en reste pas moins un « commendatore » très attachant et, surtout, un homme qui a marqué l’automobile de son empreinte en créant la 202, l’un des modèles les plus mythiques de la seconde moitié du XXe siècle.
Piero Dusio sur la D 46 D.R.
Piero et son fils Carlo en 1946 sur D 46 D.R.