Saga Cisitalia
Piero Dusio aurait pu être un Enzo Ferrari. Il a marqué l’automobile en créant la 202, un modèle mythique.
sommaire :
CISITALIA D46
Gilles Bonnafous le 22/03/2007
Conçue pour les courses de monoplaces atmosphériques de moins de 1500 cm3, les « voiturettes » selon l’expression d’avant guerre, la Cisitalia D 46 a connu un succès considérable. Elle a su s’imposer devant des machines beaucoup plus puissantes, mais de conception plus ancienne.
Si elle a attiré de nombreux coureurs néophytes, elle a acquis une grande notoriété grâce à ses victoires remportées par des pilotes de renom. Elle a beaucoup contribué à la résurrection du sport automobile italien après la guerre.
D.R.
D.R.
Construite — comme les Simca d'Amédée Gordini —, à partir d’éléments mécaniques de série, ceux de la Fiat 1100 Balilla, la D 46 (pour Dusio 1946) est une monoplace simple, économique et facile d’entretien, des vertus en phase avant la difficile période de l’après-guerre. Si elle manque de puissance, elle est légère et maniable, des qualités plus tard reprises avec succès par John Cooper et Colin Chapman. Très vive et dotée d’un empattement court, elle demande aux pilotes habitués aux voitures puissantes et lourdes un temps d’adaptation.
C’est Dante Giacosa, le grand ingénieur Fiat auteur de la Topolino et doté d’une forte expérience en technique aéronautique, qui est le père de la D 46 (également appelée type 201). Il travaille sur le projet pendant la guerre et en dessine le châssis tubulaire, dont les avantages sont nombreux : encombrement réduit, légèreté mais grande rigidité à la torsion et à la flexion, facilité d’intervention mécanique.
La D 46 et son atelier d'assemblage D.R.
Dante Giacosa D.R.
Le talentueux ingénieur Giovanni Savonuzzi, ancien de chez Fiat où il œuvrait également sur les moteurs d’avions, fignolera la voiture et organisera l’atelier pour la construire. Il prendra le relais lorsque Giacosa retournera chez Fiat.
La Cisitalia D46 est motorisée par un quatre cylindres Fiat de 1100 cm3 développant 60 ch à 5800 tr/mn. Grâce à son poids plume inférieur à 400 kilos, elle dépasse les 170 km/h. En 1948, la puissance sera portée à 70 ch grâce à deux carburateurs Weber, qui remplaceront le Zenith originel de 30 millimètres. D’abord dotée d’une boîte de vitesses présélective à trois rapports (de maniement jugé délicat), elle recevra la même année une transmission conventionnelle à quatre vitesses. La suspension a été développée à partir des éléments de la Fiat Topolino. Quant à la carrosserie en aluminium, elle est réalisée par Rocco Motto. Purement esthétique, le carénage des bras de suspension n’a pas de rôle fonctionnel.
D.R.
D.R.
La Cisitalia D 46 entame sa carrière à la Coppa Brezzi, une course réservée aux monoplaces atmosphériques de moins de 1500 cm3. L’épreuve se déroule sur le même parcours que le Grand Prix de Turin, qui la précède de deux jours. Pas moins de sept D 46 se trouvent sur la ligne de départ, dont quatre monopolisent la première ligne.
Elles sont confiées à quelques gloires du sport automobile italien d’avant guerre : Tazio Nuvolari, qui découvre la voiture la veille de l’épreuve, Piero Taruffi, Clemente Biondetti (recordman des victoires aux Mille Milles) et Franco Cortese. Le Français Raymond Sommer et le Monégasque Louis Chiron complètent l’équipe avec Piero Dusio.
Sassi Superga, 1946 D.R.
Carlo en 1946 D.R.
L’épreuve est marquée par une anecdote peu banale. En pleine course, Nuvolari casse son volant — la Cisitalia D 46 est dotée d’un volant rabattable (articulé par une charnière) pour faciliter l’accès au cockpit. Il passe au stand pour le déposer et reprend la piste sans volant !
A l’arrivée, Cisitalia écrase ses adversaires, dont quatre Simca Gordini, une Maserati et une Lancia. Piero Dusio l’emporte devant Cortese et Chiron.
Piero en 1946 D.R.
Carlo D.R.
Pour son deuxième engagement, la D 46 est confrontée aux voitures de Grand Prix sur le circuit de Milan. Un baptême du feu en forme de défi. Pilotée par Taruffi, elle est alignée face aux Alfa 158 1500 cm3 à compresseur infiniment plus puissantes de Varzi, Trosso, Farina et Sanesi. Elle terminera sixième de sa manche.
La troisième sortie de la D 46 a lieu à Mantoue, toujours en 1946. Nuvolari remporte sa manche, avant la finale disputée par handicap comme c’est la mode à l’époque. Mais le handicap s’avère insurmontable et le « campionissimo » se classe deuxième derrière la Maserati de Barbieri. La saison se terminera par une quatrième place au GP de Barcelone.
En 1947, Piero Dusio emmène vingt-deux D 46 au Caire pour une course réservée à ses voitures qu’il a organisée. Après l’Egypte, place à la saison européenne. La Cisitalia D 46 remporte de multiples épreuves. Le Romain Taruffi s’impose dans la Ville éternelle sur le circuit de Caracalla.
La voiture est pilotée par Hans Stuck, le champion d’Auto Union qui gagne à Hockenheim, Harry Schell, Robert Manzon, Raymond Sommer, etc. En France, elle s’impose à Angoulême, au Bois de Boulogne, au Mont Ventoux, au circuit de Comminges et à Montlhéry. En Belgique, au Grand Prix des Frontières à Chimay.
Carlo en 1947 D.R.
Carlo à la Sassi Superga en 1947 D.R.
La D 46 poursuit sa brillante carrière, remportant maints succès en 1948 et 1949 : à titre d’exemple, Dusio dans la course Aoste-Grand Saint-Bernard ou Taruffi à Berne. Mais la voiture commence à vieillir et la saison 1950 sera moins heureuse.
En 1952, Carlo Dusio, le fils de Piero, tente de relancer la marque en rénovant la D 46. Savonuzzi la fait évoluer pour la F2 promue formule du championnat du monde. Elle reçoit un moteur marin BPM alimenté par quatre carburateurs Dell’Orto de moto, ainsi qu’une nouvelle architecture du train arrière. Mais le succès ne sera pas au rendez-vous.
Au total, de l’ordre de 45 exemplaires de la D 46 ont été fabriqués, dont plusieurs vendus en France.
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Piero en 1948 D.R.