Saga Cisitalia
Piero Dusio aurait pu être un Enzo Ferrari. Il a marqué l’automobile en créant la 202, un modèle mythique.
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CISITALIA 360 Grand Prix
Gilles Bonnafous le 28/03/2007
La Cisitalia 360 de Grand Prix représente le rêve de Piero Dusio. Après avoir réussi avec la petite D 46, il entend maintenant jouer dans la cour des grands. Le projet est des plus ambitieux. Dusio met la barre très haut, il veut le meilleur. La voiture devra être exceptionnelle, originale et différente de toutes les autres monoplaces de la classe supérieure. Et elle devra les battre.
Pour réussir ce pari, Giovanni Savonuzzi suggère à Piero Dusio de se mettre en contact avec les auteurs des Mercedes et Auto Union d’avant guerre : « Personne ne sera en mesure de faire mieux ». Savonuzzi prend langue avec le bureau Porsche en Autriche, et le 3 février 1947, deux conventions sont signées entre Piero Dusio et Ferry Porsche, sa sœur Louise Piëch et l’ingénieur Karl Rabe, fidèle collaborateur de Ferdinand. La famille Porsche a obtenu des conditions financières très favorables, qui lui permettront de payer aux Alliés le tribut nécessaire à la libération du « Professeur » emprisonné en France et de démarrer la construction des premières Porsche à Gmünd, en Autriche.
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Une prestigieuse équipe entre chez Cisitalia, corso Peschiera à Turin : Karl Rabe, directeur technique du projet, l’ingénieur Rudolf Hruska, ancien de chez Porsche, Robert Eberan Eberhorst, auteur de l’Auto Union Type D de 1938, conseiller technique, Erwin Komenda, responsable des carrosseries Auto Union, auteur de la ligne de la 360, et Carlo Abarth promu directeur sportif de Cisitalia. Quant au pilote désigné pour maîtriser la machine, il n’est rien moins que le grand champion Tazio Nuvolari.
La 360 présente de nombreux points communs avec la Flèche d’argent Auto Union Type D (12 cylindres trois litres suralimenté). Très sophistiquée, elle a recours à des alliages et métaux spéciaux (et fort coûteux) : le magnésium pour le groupe motopropulseur, le nickel chrome molybdène pour le châssis tubulaire.
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Le moteur, un douze cylindres boxer à quatre arbres à cames en tête de 1492 cm3, est disposé en position centrale arrière. Super carré (cotes de 56 mm x 50,6 mm), il est équipé d’un vilebrequin entièrement démontable. Alimenté par deux carburateurs Weber double corps et boosté par deux compresseurs volumétriques, il développe théoriquement 400 ch à 12 000 tr/mn. Une cavalerie qui doit permettre à la 360 d’atteindre les 300 km/h. La transmission à quatre roues motrices est débrayable à l’avant au choix du pilote et la boîte de vitesses possède cinq rapports.
La suspension à quatre roues indépendantes fait appel à des barres de torsion transversales à l’avant et longitudinales à l’arrière — une technique chère à Porche. Les freins reçoivent quatre mâchoires et deux pistons. Quant aux réservoirs de carburant, ils prennent place dans les flancs.
Le 12 cylindres au banc d'essai D.R.
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Mais la conception et la construction de la 360 se révèlent extrêmement onéreuses, d’autant que le projet accuse beaucoup de retard. Le chantier est poursuivi contre toute raison, débouchant sur un gouffre financier. La voiture engloutit les ressources de l’entreprise et en janvier 1949 la crise financière éclate. Le tribunal accorde toutefois la poursuite du projet, la 360 étant à peu près montée. Sinon prête à courir…
On s’affère. Au banc, le moteur atteint 511 ch ! On prépare deux autres moteurs et deux châssis. Mais lucide, Rudolf Hruska insiste auprès de Piero Dusio pour qu’il mette fin à l’aventure. La réponse est imparable : « Je me ruine, mais je fais la Grand Prix ! »
Tazio Nuvolari au volant de la 360 D.R.
Le Train et le differentiel avant D.R.
Le financement nécessaire pour aller plus loin ne pourra toutefois être trouvé et la 360 ne parviendra jamais au terme de son développement. De toute manière, il était bien tard puisqu’en 1952, la réglementation du championnat du monde de Formule 1 allait être modifiée (deux litres atmosphérique).
Après avoir été exposée au salon de Turin de 1950, la 360 part en janvier 1951 en Argentine, où Piero Dusio s’est installé et a créé Autoar. Ce n’est qu’en 1953, au terme d’une mise au point complexe et d’essais difficiles, qu’elle fera ses premiers tours de roues lors d’une présentation au public argentin sur l’autodrome de Buenos Aires. Le travail sur la voiture se poursuivra jusqu’en juin pour une interminable série d’essais consécutifs à de nombreuses défaillances techniques : grippage récurrent des pistons du banc de cylindres gauche, perte du capot arrière dû à une aérodynamique imparfaite, etc. Les techniciens argentins ne parviendront jamais à régler le problème de perforation des pistons.
La boite de vitesse et le pont arrière D.R.
Dès lors, la voiture sera abandonnée dans un coin d’atelier chez Autoar. En 1958, elle sera acquise par un pompiste de Buenos Aires. Retrouvée par hasard deux ans plus tard, elle sera aussitôt achetée par Porsche grâce à l’intervention de Huschke von Hanstein, le directeur sportif de la marque. Elle est aujourd’hui l’une des perles du musée de Zuffenhausen. Un second exemplaire, jamais terminé mais resté en Italie, a rejoint le musée de Donington en Angleterre.
Singulier destin que celui de cette machine extraordinaire conçue pour écraser la concurrence, mais qui ne participa jamais à la moindre course. Un terrible échec ? Non, un sublime échec.
La 360 au salon de Turin 1950 avec Nuvolari D.R.
Le groupe motopropulseur D.R.