Alfa Romeo, 110 ans en dents de scie
Stéphane Schlesinger le 08/06/2020
Bien souvent, la France est le premier marché d'Alfa Romeo à l'export. Ce n'est qu'un juste retour des choses, car la marque italienne n'aurait jamais existé sans l'action d'un Français : Pierre-Alexandre Darracq. En 1906, il décide de vendre en Italie les voitures qu'il a créées chez nous, et commence par ouvrir une succursale à Naples. La localisation n'étant pas logistiquement judicieuse, il déménage à Milan. Malheureusement, si ses légères autos se vendent mal dabs la Botte où on leur reproche leur manque de puissance, aussi l'affaire périclite-t-elle. Néanmoins, Ugo Stella, directeur général de la filiale italienne trouve un financement ainsi qu'un ingénieur ce qui lui permettra de relancer l'activité. L'ingénieur, c'est Giuseppe Merosi, qui, à la demande de Stella, conçoit la 24HP plus grande et puissante. Elle sort en 1910 et, avec son 4-cylindres de 42 ch, frôle les 100 km/h, une allure très élevée à l'époque. Juste après, le 24 juin 1910, avec des financiers, est fondée la Anonima Lombarda Fabbrica Automobili. Bien vite, pour se faire connaître, l'A.L.F.A s'engage dans la course automobile, dont la Targa Florio par exemple. Mais en 1914, la guerre éclate et en 1915, un certain Nicola Romeo prend le contrôle de la firme lombarde, pour produire du matériel militaire. Après les hostilités, en 1919, il reprend la fabrication des automobiles et en 1920, la marque devient Alfa Romeo. Le premier modèle à arborer cette appellation est la 20/30 HP, évolution de la 24 HP. La course continue, et Alfa embauche cette année-là un jeune pilote qui deviendra son directeur d'écurie en 1929 : Enzo Ferrari. Celui-ci fait pression pour que soit embauché un talentueux ingénieur de chez Fiat : Vittorio Jano. Celui-ci concevra des bêtes de route et de course très efficaces en recourant à la suralimentation par compresseur. Ainsi de la P2, pilotée par Ascari et surtout de la mythique 6C1750, qui remportera les Mille Migia. Mais les finances ne suivent pas. Aussi, en 1933, afin d'éviter la faillite, elle devient propriété de l'IRI, holding d'état, donc du gouvernement de Mussolini qui se sert du sport automobile pour sa propagande. Alfa Romeo continue sur sa lancée et produit des autos toujours plus sophistiquées. C'est un peu le Bugatti italien, en un peu moins exclusif et bien plus pragmatique. Parallèlement, Alfa fabrique aussi, et on le sait peu, des utilitaires. Après la seconde guerre mondiale, la marque change son fusil d'épaule et s'oriente vers la production série, mais toujours haut de gamme, présentant en 1950 l'excellente berline 1900. Parallèlement, cette année-là, Alfa gagne le premier championnat du monde de Formule 1 avec l'Alfetta 158. Surtout, en 1954, la Giulietta met élégamment sur roues le miracle économique italien, sa version Spider devenant même la fiancée de l'Italie. Lui succède la remarquable Giulia en 1962, dont la version Spider perdurera jusqu'en… 1992 ! Les années 60 représentent un âge d'or pour Alfa, qui a formidablement réussi sa conversion à la grande série. La décennie suivante est abordée avec brio, d'abord avec l'Alfasud en 1971, petite berline techniquement avancée. Suit en 1972 la berline Alfetta, séduisante par son architecture transaxle et sa ligne moderne. Personne ne le sait encore, mais ce seront les deux dernières vraies nouveautés 100 % Alfa avant bien longtemps ! En effet, la crise du pétrole éclate, l'Italie sombre en sus dans les années de plomb, et Alfa n'a bientôt plus les finances pour développer des autos totalement inédites. Toutes ses créations dériveront soit de l'Alfasud (la Sprint, la 33), soit de l'Alfetta (la Giulietta, la 6, la 90, la 75, la SZ), jusqu'au rachat par Fiat en 1986. Il y aura bien l'Arna en 1983, mais ce n'est qu'une Nissan Cherry au moteur d'Alfasud : échec commercial. Néanmoins, dans les années 80-90, les ventes se tiennent mais Fiat aura bien du mal à coordonner Alfa Romeo et Lancia. Après des 145-146 et 155 décevantes par leurs ventes, arrive la miraculeuse 156, suivie de la séduisante 147 cependant que la 166 constitue un digne haut de gamme dès 1998. Des autos qui se vendent bien, mais voilà, Fiat passe un accord avec GM en 1999, qui engendrera une 159 lourde et chère… Pire, Alfa rate alors de peu le coche du SUV, annulant à la dernière minute son séduisant Kamal. C'est la rechute, que les Brera, Mito et Giulietta ne pourront endiguer. Pas plus que les remarquables Giulia et Stelvio, pourtant conçues avec énormément de soin. La marque touche le fond commercialement, alors que ses autos n'ont jamais été aussi bonnes. Espérons que la roue tourne pour le biscione.
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