Deltawing s’associe à Nissan
Loïc Bailliard le 14/03/2012
Une initiative atypique
« Avec des engins comme le Juke R ou la Leaf et des programmes comme la GT Academy, Nissan prouve continuellement sa capacité à défier les conventions et à aller vers les projets les plus audacieux. Quand la plupart se demande ‘pourquoi ?’, nous répliquons ‘pourquoi pas ?’. La Deltawing est une preuve supplémentaire de cette mentalité ». Voilà comment le directeur de Nissan Europe, Darren Cox explique l’engagement de Nissan auprès de ce projet un peu fou, mené par un ingénieur passionné et encadré par quelques grands noms du sport automobile.
Ingénieur américain basé au Royaume-Uni, Ben Bowlby travaille sur la Deltawing depuis 2008. « On dit souvent que le sport automobile est un laboratoire pour les voitures réelles, mais il n’y a pas vraiment eu de révolution depuis des années. Je souhaitais repartir de zéro avec un objectif en tête : diviser par deux la consommation d’essence et de pneus. Pour ça, il fallait diviser par deux la puissance, la masse et la trainée aérodynamique. » Une vision qui l’oblige à repartir d’une feuille blanche. Il faudra cependant attendre fin 2010 puis juin 2011 pour que le projet démarre réellement.
Loïc Bailliard
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C’est en effet à ce moment que l’ACO annonce la création du stand 56 et son attribution pour 2012 à la Deltawing. Bowlby insiste d’ailleurs sur l’importance de ce geste « voila peut-être la plus grande innovation : que l’on ait un endroit où la voiture va pouvoir rouler. Et le fait d’avoir le numéro 0, comme les projets expérimentaux d’autrefois, est vraiment cool ».
Associé à Don Panoz (fondateur de la marque du même nom et gérant de l’American Le Mans Series) et au pilote légendaire Dan Gurney (désormais fabriquant de voitures de sport avec sa société AAR), Ben Bowlby va alors se lancer dans une course contre la montre. Il n’aura fallu que 9 mois entre l’installation chez AAR en Californie et le premier roulage la semaine dernière. Un exploit lorsque l’on réalise que tout est fait sur mesure pour la Deltawing, de la boîte de vitesse aux pneus.
Mais commençons par le moteur. De tous les constructeurs contactés, c’est finalement Nissan qui a décidé d’accepter le pari lancé par Bowlby. Le bloc fourni est dérivé du 1.6 DIG-T (injection directe et turbo) équipant le Juke. Retravaillé par RML (la société derrière le Juke-R), ce petit 4 cylindres annonce 300 ch et 312 Nm. Une puissance modeste compensée par le poids réduit de la Deltawing (moins de 500 kg à l’heure actuelle avec un objectif de 575 kg lors de l’homologation finale au Mans) et ses propriétés aérodynamiques étonnantes.
Loïc Bailliard
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Avant d’évoquer ses dernières, signalons tout de même que cette réduction du poids est la conséquence d’un nombre de choix techniques importants : la boîte séquentielle est entièrement nouvelle et se contente de 5 rapports afin de conserver un poids minimal, les jantes ont été créées sur mesure, tout comme les pneus de seulement 4 pouces de large à l’avant. Le réservoir de 40 litres permet pour sa part d’effectuer 12 tours du Mans, quand les autres concurrents ont besoin de 80 litres.
Outre ces caractéristiques, le travail sur l’aérodynamique est bien entendu le point principal concernant la Deltawing. La forme, inspirée comme son nom l’indique des ailes Delta utilisées en aviation (Concorde, Mirage 2000…) apporte des propriétés totalement uniques. Pour commencer, le poids se répartit d’une manière bien peu conventionnelle avec 73% de la masse sur le train arrière. Une valeur qui correspond toutefois à la quantité de pneu en contact avec la route.
Loïc Bailliard
Des premiers essais prometteurs
« La première question que j’ai posée lorsqu’on m’a parlé du projet, c’est à quelle vitesse est ce que ça décolle » explique Erik Comas, pilote d’essai pour le projet, « en fait, la voiture est incroyablement stable et la quasi absence de trainée fait qu’elle semble accélérer de façon totalement libre, comme aucune autre voiture que j’ai conduite ». Afin d’illustrer cette stabilité, Bowlby précise d’ailleurs que des tests ont été réalisés afin de voir le comportement de la voiture dans le cas où le museau se soulèverait. Le fait d’avoir une largeur minimale à l’avant permet de replaquer immédiatement la Deltawing. En clair, elle ne peut pas s’envoler ! De la même façon qu’une fléchette vole droit grâce à ses ailettes, la Deltawing s’assure une stabilité en ligne droite hors du commun selon Erik Comas. Dans les courbes rapides, le diffuseur géant qui forme les dessous de la voiture permet pour sa part des vitesses de passage très élevées.
Loïc Bailliard
Nissan
Voila qui amène à la seconde question commune : est ce qu’elle tourne ? « Bien sûr ! Bon, l’épingle du Lycée à Pau ou un circuit comme Monaco seraient un peu compliqués, mais pour un circuit rapide comme le Mans elle est parfaite ! » s’amuse Erik Comas. Selon Ben Bowlby, la voiture aurait une tendance naturelle au survirage progressif à l’accélération, tandis qu’Erik nous a confié qu’il « n’arrive pas à faire de tête à queue au freinage, malgré nos essais ». Une tendance liée à l’aérodynamique de la voiture, mais aussi à la répartition du freinage favorisant - fait rarissime - l’arrière à 60%.
« Au volant, on ne ressent presque aucune différence avec une LMP2. Il faut seulement s’habituer à être assis très en arrière et se souvenir que l’arrière fait 2 mètres de large lorsque l’on vise la corde. », explique Erik Comas, « Ensuite, on profite de l’aéro. Lorsqu’on lâche l’accélérateur, la voiture ne freine pas, elle garde sa vitesse. C’est unique. » Concernant les performances, il ajoute « l’ACO nous demande de tourner en 3’45, entre les LMP1 et les LMP2. Mais avec une vitesse maximale plus libre (la voiture sera probablement bridée à 300 km/h), ont pourrait sérieusement tourner autour des grosses LMP1… »
Nissan
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En attendant le Mans, l’équipe a moins de 80 jours pour découvrir la fiabilité de pièces uniques. Après des démonstrations à Sebring ce week-end, la Deltawing prendra donc la direction de l’Europe pour des essais en Espagne et au Paul Ricard. Des mois qui vont être chargés pour Ben Bowlby et les autres, mais tous sont portés par l’excitation de participer à un projet révolutionnaire. D’autant que, comme l’a très bien résumé Darren Cox, « lorsqu’un adulte voit la voiture, il dit ‘"ça va s’envoler et ça ne peut pas tourner" alors qu’un enfant de 5 ans s’exclame "ouah, c’est la voiture de course la plus cool que j’ai vue" » ; du jeune Ben Bowlby à l’octogénaire Don Panoz, toutes les personnes impliquées dans Deltawing ont les yeux d’un enfant de 5 ans lorsqu’ils évoquent leur projet.
Et on ne peut s’empêcher de sourire avec eux.
Loïc Bailliard