Technique : La tenue de route
le 03/08/2005
D'un point de vue strictement physique, le déplacement d'un véhicule correspond à un mouvement relatif entre deux systèmes (sans qu'il y ait à considérer lequel des deux est en mouvement) qui agissent réciproquement à travers certaines « liaisons » :
- dans le cas d'un train, la liaison est constituée par les rails ;
- dans le cas d'un avion, par l'air qui enveloppe les ailes et les empennages
- dans le cas de l'automobile, par les forces qui s'exercent au niveau de la zone de contact entre les pneumatiques et le sol.
L'adhérence d'un pneumatique résulte d'un ensemble d'éléments, qui dépendent de la nature des surfaces en contact et d'un grand nombre de variables, sur lesquelles on s'efforce d'agir pour améliorer la tenue de route.
En effet, pour un même coefficient de frottement, l'adhérence est fonction de la charge verticale, de l'étendue de la surface de contact et, dans le cas d'un véhicule en mouvement, de la constance de ces éléments.
Puisque l'adhérence au sol d'un pneumatique en mouvement ne constitue pas une liaison rigide, l'application d'une force transversale (vent ou force centrifuge) provoque un léger glissement latéral ; il s'ensuit que la trajectoire effectivement parcourue tend à s'écarter de la direction médiane en donnant lieu à un angle de dérive qui augmente avec la force latérale appliquée.
Pendant le mouvement, les forces latérales, qui agissent sur le véhicule, provoquent une augmentation progressive de la dérive des pneumatiques jusqu'à ce que les conditions d'équilibre soient atteintes ; autrement dit, pour une charge verticale constante, le pneumatique prend une certaine dérive jusqu'à ce qu'apparaisse une force transversale égale à la sollicitation.
Seule la première portion de la ligne est assimilable à une droite; en revanche, au fur et à mesure qu'on s'approche de la déformation maximale du pneu, une augmentation même considérable de dérive n'entraîne pas d'amélioration appréciable de l'adhérence latérale, tout en provoquant simultanément la perte à peu près totale du pouvoir directionnel de la roue.
Une telle situation met en évidence les avantages d'un pneumatique à structure radiale par rapport à un pneumatique de type conventionnel ; en effet, bien qu'il n'existe pas de différence très sensible en ce qui concerne l'adhérence latérale maximale, le pneu à carcasse radiale conserve un comportement plus constant aux petits angles de dérive (c'est-à-dire dans les conditions les plus fréquentes d'une conduite normale) et, par conséquent, assure non seulement une meilleure tenue de route mais aussi une conduite plus facile et plus précise.
Un autre aspect fondamental de l'interaction pneumatique-sol concerne les variations d'adhérence en fonction de l'augmentation de la charge verticale. Sur le plan purement théorique, pour un coefficient de frottement identique, l'adhérence (et, donc, la force latérale susceptible d'être supportée) est directement proportionnelle à la charge verticale ; cependant, l'analyse des données expérimentales met en évidence des différences importantes du comportement réel par rapport au principe théorique.
Et même lorsque l'angle de dérive est très petit, il se produit, avec l'augmentation de la charge, une diminution de l'adhérence latérale, cela provient de la déformation du pneu, qui entraîne une modification et une distorsion de la surface de contact au sol, ce qui favorise les glissements latéraux. En outre, une fois atteinte la valeur maximale d'adhérence, le pneumatique n'est plus influencé par une nouvelle surcharge.
Ces conditions montrent que, lors de l'étude du projet d'un véhicule, le choix du type de pneumatique doit tenir compte de l'intervalle de charge à l'intérieur duquel il doit travailler.
Les transferts de charge
En réalité, les quatre pneus d'une voiture travaillent dans des conditions différentes et, par conséquent, concourent différemment à l'adhérence transversale.
Considérons les deux roues portées par un même essieu; dans des conditions statiques elles exercent sur le sol une charge à peu près identique (des variations faibles peuvent être dues à la répartition des poids ou des passagers et possèdent, par conséquent, une adhérence égale) cela signifie que l'adhérence totale de l'essieu est égale au double de l'adhérence de chaque roue.
Examinons maintenant les forces qui agissent sur le véhicule en marche ; celles-ci sont de deux types :
- force d'inertie (force centrifuge) et force active (vent latéral) ;
- les résultantes de ces forces sont respectivement appliquées au centre de gravité et au centre de poussée latérale.
Puisque l'action exercée n'est jamais appliquée au niveau même où se manifeste la réaction (adhérence) c'est-à-dire au niveau de la route, il se crée toujours un couple de renversement qui provoque un transfert proportionnel de charge entre une roue et l'autre du même essieu.
Les deux graphiques montrent les différentes variations d'adhérence d'un pneumatique avec l'augmentation de la dérive, en fonction de la pression de gonflage (à gauche) et du type de carcasse (à droite). D.R.
Dans les deux cas, la charge verticale est considérée comme constante. D.R.
A cause de cela, si les deux pneumatiques ont une même convergence nulle, ils doivent présenter la même dérive dans un virage, mais ils auront des charges verticale différentes.
Maintenant, si nous examinons les lignes d'isodérive sur le graphique ci-dessous, nous serons amenés à faire une remarque importante : lorsque des charges verticales identiques pèsent sur les deux pneumatiques, leurs adhérences sont égales et l'adhérence totale correspondra au double de cette valeur ; s'il se produit un transfert dynamique de charge, le pneumatique le plus chargé verra son adhérence augmenter, tandis que l'autre se trouvera dans la situation inverse.
EFFET DE LA VARIATION DE LA CHARGE VERTICALE
Les trois courbes d'isodérive décrivent la variation de l'adhérence d'un pneu isolément considéré en fonction de la variation de la charge verticale.
Les points de couleur indiquent deux situations différentes en virage pour un même essieu supportant un poids de 400 kg : au point rouge (cas idéal). il y a un transfert de charge nul et les deux roues. soumises chacune à une charge verticale de 200 kg. donnent chacune une force latérale égale à 130 kg : au point bleu (cas réel). sous l'effet du transfert de charge, le pneumatique intérieur (supportant 100 kg) donne une force latérale de 80 kg, l'extérieur (supportant 300 kg) donne une force latérale de 140 kg.
L'adhérence totale est, dans le deuxième cas, inférieure (220 kg contre 260).
Mais la relation entre dérives et forces latérales n'est pas linéaire (la courbe a une concavité vers le bas), de telle sorte que l'augmentation d'adhérence due à la surcharge est très inférieure et ne compense pas la diminution d'adhérence du pneumatique délesté ; donc, en définitive, l'adhérence totale de l'essieu sera moindre.
La conclusion qui s'ensuit est que l'adhérence d'un essieu est d'autant plus grande que les transferts de charge entre les roues sont moins importants. Dans le cas simplifié d'un véhicule sans suspension parcourant un virage à vitesse constante et soumis à la seule force centrifuge (appliquée à son centre de gravité), les variations de charge sont directement proportionnelles à la force centrifuge, à la hauteur du centre de gravité et inversement proportionnelles à la voie.
Dès lors, il devient évident que pour limiter les variations dynamiques, il faut, pour une force centrifuge égale, abaisser le centre de gravité ou élargir la voie. Rappelons que les voitures conçues pour Indianapolis ont conservé, pendant de longues années, une structure asymétrique (centre de gravité déplacé à gauche et demi-voie droite plus large que la gauche) afin de limiter la surcharge des roues extérieures, la " cuvette" n'ayant que des virages à gauche.
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L'IMPORTANCE DES SUSPENSIONS
La charge verticale est le facteur qui subit les variations les plus importantes durant le déplacement. Lorsque la roue rencontre un petit obstacle, elle subit une poussée très rapide vers le haut ; le mouvement de la roue est contrarié par l'inertie de la voiture, qui agit à travers le ressort de la suspension.
L'obstacle franchi, la roue revient à son niveau précédent, tandis que le corps de la voiture reste encore légèrement soulevé. puisque, en raison de sa masse supérieure, il lui faut plus de temps pour retomber. Pendant ce court laps de temps, le ressort demeure en légère extension et, de ce fait, agit moins vigoureusement pour maintenir le contact entre la roue et le sol. Le résultat en est une diminution de l'adhérence.
Il est évident que. dans un virage. ces phénomènes entraînent autant de déports du véhicule vers l'extérieur, la fréquence de ceux-ci étant en rapport avec la rigidité des ressorts et des amortisseurs. et l'importance du rapport entre masses suspendues et non suspendues.
La tenue de route résultera donc de la valeur moyenne entre les conditions d'adhérence maximale et minimale lors des secousses verticales et sera d'autant meilleure que le laps de temps. durant lequel la roue est délestée, sera plus court. c'est-à-dire la fréquence des oscillations plus élevée.
En effet, en règle générale, dans des conditions identiques, une voiture possédant des suspensions très souples et subissant des secousses lentes colle au sol beaucoup moins qu'une voiture à suspension rigide. La tenue de route est influencée non seulement. comme nous venons de le voir, par l'amplitude des oscillations des roues, mais aussi par les modalités selon lesquelles se produisent les secousses et qui dépendent. elles, du schéma adopté pour la construction des suspensions.
En effet. au cours des oscillations, deux phénomènes se produisent qui influencent l'adhérence du pneumatique au sol : les mouvements latéraux (ou glissements) et les modifications de carrossage. Durant la marche. le point neutre n'est pas fixe mais se déplace en fonction des variations de la force latérale sur les deux essieux : aussi peut- il se trouver tantôt en avant, tantôt en arrière. du centre de gravité.
Lorsqu'il se trouve en avant. il donne naissance à un moment qui, en faisant pivoter la voiture vers l'intérieur du virage. détermine un comportement survireur: à l'inverse. lorsqu'il se déplace vers l'arrière, le moment résultant agit en sens contraire et détermine un comportement sous-vireur.
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En établissant les plans d'un véhicule, on s'efforce de maintenir, dans des conditions normales, le point neutre en arrière du centre de gravité, afin de donner à la voiture un comportement légèrement sous-vireur, car cela, aux vitesses normales, rend la conduite plus sûre et plus facile.
Pour obtenir un tel résultat, on joue sur le transfert des charges de chaque essieu, en faisant varier convenablement la résistance au roulis des suspensions ; on augmente celle-ci en rapprochant le centre de roulis du centre de gravité, en augmentant la rigidité des ressorts, ou bien en augmentant la rigidité de la barre antiroulis, solution la plus fréquente.
De tout ce que nous venons d'exposer, il ressort que la notion de tenue de route n'est pas liée de manière absolue à l'adhérence entre la roue et le sol, mais à la constance (ou du moins à la faible variation) de tous les paramètres susceptibles de varier durant le mouvement : charge verticale, angle de carrossage, balayage du pneu, etc.
Puisqu'il est impossible de satisfaire simultanément à toutes ces exigences, la tenue de route sera plus ou moins bonne, non pas tant en fonction du caractère plus ou moins élaboré du schéma de construction, mais plutôt du concours effectif de ses diverses composantes. Ce fait est amplement prouvé par la pratique, qui montre des réalisations (telles que les petites Citroën 2 CV et Dyane) qui, bien que fort éloignées du modèle de la voiture de classe, offrent des qualités insoupçonnées de tenue de route dans les virages. A l'opposé, il existe des modèles très sophistiqués et dotés de pneumatiques énormes, dont le comportement en virage est fort discutable.
La solution Citroën assure un juste équilibre des différents facteurs et, en dépit de suspensions très souples et d'un roulis important en virage, elle tire le meilleur parti de l'adhérence offerte par les pneumatiques de faible section et des caractéristiques d'un système à bras longitudinal, grâce à quoi, une fois la bonne trajectoire amorcée, il n'y a de variation ni du carrossage ni de la voie, même si les roues subissent des secousses de grande amplitude.
En revanche, avec des pneus de section large, un tel équilibre est difficile à atteindre car ceux-ci sont plus sensibles aux modifications des conditions optimales de travail; c'est pourquoi, la mise au point des voitures dotées de tels pneus est beaucoup plus délicate. En effet, certains systèmes de suspension, qui s'inspirent de ceux adoptés pour les voitures de compétition, ont été conçus à l'origine pour exploiter au mieux les extraordinaires qualités d'adhérence des voitures de course (c'est-à-dire la capacité de maintenir constants le carrossage et la voie), mais leur efficacité n'est manifestée que pour des débattements de l'ordre de 5 cm, valeur suffisante pour une voiture de course, mais absolument incompatible avec les nécessités de confort d'une voiture de tourisme.
Ces phénomènes modifient constamment l'assiette du véhicule, donc son comportement. Dès lors, il est évident que pour assurer les meilleures conditions d'adhérence, les suspensions d'un véhicule doivent satisfaire à deux exigences ; maintenir une surface de contact aussi étendue que possible et un contact constant avec le sol. L'étendue de la surface de contact est maximale lorsque la roue est en position verticale par rapport au sol, indépendamment de la charge et du roulis, c'est pourquoi les suspensions sont conçues de manière à ouvrir les roues chargées (carrossage négatif) afin de compenser l'inclinaison (carrossage positif) entraînée par le roulis de la voiture.
Ce problème revêt une importance particulière dans les voitures de compétition, dans lesquelles l'adhérence des pneumatiques, plats et très larges, est influencée de manière très sensible par une faible réduction de la surface de contact.
Avec les suspensions classiques à roues indépendantes, il n'est pas possible de réaliser des systèmes de suspension capables de maintenir les deux roues d'un même essieu parfaitement verticales, tant en ligne droite qu'en virage ; dans ce cas, on fait en sorte de maintenir la verticalité au moins de la roue qui supporte l'effort principal, c'est-à-dire la roue extérieure au virage.
Représentation schématique des variations d'adhérence latérale pur suite de l'augmentation de la rigidité de roulis d'un couple de suspension.
Ce résultat peut être obtenu en rendant plus rigides les ressorts (ce qui se traduit pur une diminution du confort) ou en élevant le centre de roulis (c'est-à-dire en faisant varier les mouvements des roues lors des secousses verticales). L'adoption de la barre antiroulis permet, au contraire, d'augmenter la rigidité de roulis sans modifier aucune caractéristique des suspensions.
L'adoption d'une barre antiroulis (ou l'augmentation de la rigidité de la barre existante) accentue les transferts de charge sur l'essieu qui en est doté et les diminue sur l'autre : il s'ensuit (pour des angles de dérive identiques) une variation (flèches plus foncées de l'adhérence des deux pneumatiques, dont la somme provoque une adhérence totale différente pour les deux essieux, donc un comportement différent de la voiture en virage.
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Sur le schéma les flèches de teinte claire indiquent la contribution à l'adhérence latérale de chaque pneu et l'adhérence totale des deux essieux en l'absence de barre antiroulis : les flèches foncées figurent la situation différente qui se crée en présence de la barre. Dans ce cas. le montage de la barre sur l'essieu avant en diminue l'adhérence (et améliore simultanément celle de l'essieu arrière cela provoque une diminution de la tendance au survirage (ou une augmentation de la tendance au sous-virage).
Cette solution conduit à renoncer à obtenir l'adhérence maximale de la roue lorsqu'elle est peu chargée (de toute façon, dans ce cas, sa contribution à la stabilité est plus faible), afin d'obtenir une verticalité parfaite (et donc une adhérence maximale) lorsqu'elle est chargée et qu'elle joue le rôle le plus important pour la stabilité dans le virage.
On suit les mêmes principes, en tenant toutefois compte du fait que dans le cas des pneumatiques conventionnels, à cause des déformations importantes que ceux-ci subissent dans les virages, on obtient la plus grande surface de contact en donnant aux roues un carrossage négatif bien précis.
Aussi, en ce qui concerne la suspension, le choix du meilleur compromis s'opère, en fonction des facteurs que l'ingénieur considère comme les plus importants (confort ou performances), en assurant au moyen de différents réglages (comme la hauteur des centres de roulis, le tarage des barres antiroulis, etc.) l'amélioration des caractéristiques de maniabilité, de conduite et de comportement du véhicule dans les phases transitoires, initiales et finales.
Si l'on considère globalement l'équilibre entre force centrifuge et forces latérales exercées par les deux essieux, on relève un facteur qui influence de manière fondamentale le comportement en virage du véhicule : il s'agit de la position du point d'application de la résultante des forces latérales, appelé point neutre (répartition des charges), par rapport au point d'application de la force centrifuge (c'est-à-dire le centre de gravité).
Dans ce domaine, les principaux progrès sont dus à l'expérience acquise grâce aux voitures de compétition. Vers la fin des années soixante, l'approche des problèmes aérodynamiques s'est profondément modifiée. On s'est alors efforcé d'obtenir une augmentation de la charge verticale sur les roues, d'abord en adaptant à cette exigence la ligne des carrosseries, puis en adoptant des dispositifs déportant (spoiler, ailerons).Les poussées aérodynamiques verticales améliorent la tenue de route puisqu'elles augmentent la charge verticale sans modifier la poussée centrifuge (qui est uniquement fonction de la masse du véhicule) ; on obtient ainsi une meilleure adhérence ou une moindre dérive.
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Graphique établi à l'aide des données expérimentales fournies par les deux pneus d'un essieu supportant un poids de 600 kg. Lorsque la vitesse en virage augmente (donc l'adhérence latérale nécessairel. l'angle de dérive s'amplifie et les charges sur les roues varient.
La photo ci-dessous illustre le cas limite dans lequel la roue intérieure est totalement délestée et l'adhérence latérale confiée exclusivement à la roue extérieure.
Un deuxième avantage est constitué par le meilleur équilibre entre les roues d'un même essieu. En effet, dans des conditions identiques de transfert dynamique de charge, l'addition d'une surcharge aérodynamique, égale pour les deux pneumatiques, réduit la différence en pourcentage entre les charges verticales totales et améliore le comportement de l'essieu.
On peut maintenant se poser la question suivante: pourra-t-on un jour réaliser en série des voitures ayant une tenue de route comparable à celle des F 1, ou bien, pourra-t-on améliorer encore la tenue de route des voitures de compétition ?
En revanche, dans le domaine sportif, l'amélioration des performances ira de pair avec les améliorations des pneumatiques et l'approfondissement des études aérodynamiques.
D.R.
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