Technique : La distribution à quatre soupapes
le 02/08/2005
Descriptif
Au même titre que le frein à disque, l'injection mécanique ou le phare à iode, la distribution à quatre soupapes par cylindre apparaît comme l’illustration d'une tradition automobile, qui veut que la piste soit un banc d'essai pour la route.
Les principales inventions se retrouvent ainsi sur la voiture de tous les jours. Pourtant, dans ce transfert technologique, la distribution à soupapes multiples a répondu à des motivations différentes de celles qui avaient présidé à sa découverte.
Le cycle à quatre temps tel que l'a transcrit Beau de Rochas (qui se déroule sur 720 °, soit deux tours de vilebrequin) nécessite la mise en communication de la chambre de combustion avec l'extérieur pendant les phases d'admission et d'échappement, soit grosso modo la moitié du temps composant le cycle total. Or, pour assurer ce "service d'étage", personne n'a pas trouvé mieux que la soupape, même si quelques constructeurs ont tenté d'imposer les Sans Soupapes (brevets Knight et Panhard), systèmes à fourreaux coulissants, que les mauvaises langues taxaient de remèdes plus vicieux que le mal.
Goux, sur Peugeot remporte Indianapolis en 1913 D.R.
Sous le capot un diabolique quatre cylindres de 4,5 litres comportant 2 ACT et 16 soupapes. D.R.
La soupape offre, en effet, plusieurs avantages. De par sa jolie forme tulipée, elle permet, d'une part de laisser passer un courant gazeux en toute tranquillité, d'autre part d'encaisser un front de flamme des plus redoutables grâce à une surface plane et épaisse en son milieu. L'étanchéité est assurée par une portée formant un angle de 45° avec le plan de la culasse, angle qui peut être ramené à 30° de manière à augmenter le flux quand on est limité en levée. Portées et sièges sont rodés après rectification pour parfaire l'étanchéité. La soupape est positionnée par un guide rapporté en bronze et reste maintenue en place par des clavettes en demi-lune.
Son rôle est simple : se lever sous l'action d'une came de commande et se reposer sous l'effet d'un ressort de rappel. Mais cette simplicité est rendue éminemment complexe par la conjugaison de trois paramètres incontournables : les variations de régime, la dynamique des fluides et la température de fonctionnement (élevée mais indispensable) découlant de sa place privilégiée au centre du foyer. La soupape tire de cette position un rôle fondamental, au même titre que le piston, car, de son étanchéité dépend la compression et la détente des gaz, deuxième et troisième temps d'un cycle qui en totalise quatre.
Pauvre bilan
Bien que ce cycle soit exact en théorie, il est en revanche bien approximatif dans la pratique. Il se divise, certes, en quatre temps, mais en quatre temps inégaux, car il faut compenser l'inertie des masses gazeuses. Loin de durer 180° (durée théorique), chaque temps, en fait, empiète plus ou moins sur le voisin, selon la loi de distribution que le concepteur a bien voulu lui donner.
Le moteur Titan construit par Delahaye en 1905 est le plus vieux moteur connu disposant de 2 ACT et 16 soupapes verticales. D.R.
La raison de ces malversations est contenue dans le bilan désastreux du rendement énergétique du moteur. En effet, compte tenu de tous les paramètres intervenant dans le résultat final (c’est-à-dire la puissance en sortie de vilebrequin), il s'avère que moins du quart du pouvoir énergétique contenu dans le carburant est transformé en travail récupérable ! Un quart des calories part par l'échappement et un autre se dissipe dans le circuit de refroidissement. Le reste est englouti par les frottements divers et l'entraînement des accessoires nécessaires à son fonctionnement.
Cela est inévitable, car il faut bien ralentir les gaz d'échappement pour qu'il soient tolérables et maintenir le moteur dans des limites d'utilisation, qui ne soient ni dangereuses pour l'utilisateur, ni destructrices pour les matériaux. D'où le perpétuel souci des concepteurs pour économiser les pertes et augmenter la puissance maximum par un accroissement du régime et une meilleure détente des gaz. Les choses sérieuses commencèrent alors que notre siècle avait à peine dix ans...
Ricardo ou l'école anglaise
Henri R. Ricardo fut le premier chimiste à s'intéresser aux problèmes posés par la combustion d'un mélange gazeux à l'intérieur d'un cylindre, ainsi que par la détonation qui ne manque pas d'apparaître dès lors que le gaz est comprimé.
Ses recherches menées à Cambridge, sous la direction du professeur Hopkinson, prirent deux orientations :
- tenter d'augmenter la puissance des moteurs sans avoir recours à des cylindrées pachydermiques, maladie chronique de l'époque qui avait des conséquences néfastes sur la légèreté de la mécanique.
- tenter d'exploiter au mieux le pouvoir calorifique du carburant.
Deux aspect d'un même problème qui conduisait inévitablement à l'augmentation du régime moteur avec les problèmes d'étanchéité, d'allumage et de refroidissement que cela supposait. Cette recherche scientifique constitue véritablement l'origine de la voiture moderne. Les prémices du raisonnement de Ricardo étaient les suivantes :
1) l'inflammation d'un gaz détendu ne délivre pas une force de détente suffisante qu'on ne puise s'en servir sans le comprimer.
2) la compression d'un gaz dans le rapport minimal de 1/8 entraîne des variations systémiques qu'il faut contrôler, en particulier l'élévation de température qui ne doit pas se traduire par une inflammation spontanée.
3) l'élévation rapide de température provoquée par l'allumage provoque la détente brusque des gaz et donc la pression sur le piston.
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Cadillac Northstar V8 32 valves D.R.
Résultat : la combustion est une résultante de la température, de la compression et de l'allumage qui doit resté commandé (diesel mis à part). Et elle ne doit pas détoner (exploser) sous peine de détruire à plus ou moins long terme le moteur.
Les expérimentations en laboratoire et la logique scientifique apportèrent les enseignements suivants :
- afin d'éviter le phénomène de détonation suite à la compression du gaz, il fallait mélanger les hydrocarbures de provenances différentes et ajouter du Tétraéthyle de plomb.
- afin d'améliorer la combustion (la propagation du front de flamme) et de supprimer tout risque de création d'un second front, il fallait placer la source d'allumage (la bougie) dans la partie la plus chaude de la chambre, à savoir vers la soupape d'échappement.
- pour réduire les pertes de calories, il fallait que la surface de la chambre de combustion soit la plus réduite possible pour un volume choisi. Étant donné que le meilleur rapport surface/volume est la sphère, la chambre de combustion doit donc être sphérique, et pratiquement hémisphérique.
A partir de ces réflexions, diverses réalisations furent menées en Angleterre, principalement chez Sunbeam avec les célèbres moteurs 3,3 litres et 4,5 litres construits pour le Tourist Trophy en 1913 et 1914 , puis en 1922, avec la Vauxhall de Grand Prix. Mais Sir Henry savait également qu'il était vain d'améliorer la combustion sans faciliter le passage des gaz. A ce sujet, il avait imaginé d'interposer des préchambres d'admission à turbulence afin de créer une surpression derrière les soupapes. Et pour parfaire l'ensemble, il disposait quatre soupapes, deux à l'admission et deux à l'échappement, là où les autres n'en retenaient que deux. Tout naturellement, l'automobile, mais aussi la motocyclette, profitèrent de ces préceptes : Triumph, notamment avec la Ricci(499 cm3 monoculbuté à 4 soupapes), puis de façon dérivée les Rudge-Withworth, qui monopolisèrent les marches des podiums jusqu'à la fin des années 1930 (en utilisant des mono à soupapes parallèles, puis radiales, ultime aboutissement de la chambre hémisphérique).
Ernest Henri
Curieusement, certaines déductions de Ricardo avaient déjà trouvé abri sous des capots conçus à l'ombre de notre drapeau. L'affaire se situe du côté de Suresnes, dans les Ateliers Aviation Rossel-Peugeot. Robert Peugeot, cousin d'Armand, vient d'engager un jeune ingénieur fraîchement débarqué de son Helvétie natale pour concevoir une voiture de Grand Prix.
Le coup de crayon de l'ingénieur est magistral et, si l'on peut dire, prophétique. Partant d'un gros monobloc borgne, il dessine une distribution à quatre soupapes par cylindres (formant un angle de 45° entre l'admission et l'échappement) et commandée par deux arbres actionnant directement les queues de soupapes. Le premier double arbre à chambre hémisphérique est né. Cette architecture projetée en 1912 restera et pour longtemps la meilleure solution pour obtenir un rendement spécifique maximum.
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Si ce moteur ne délivrait que 17 chevaux au litre, un chiffre encore faible qui tenait à une cylindrée unitaire gargantuesque (plus de 7600 cm3), ce n'était que très provisoire. L'année suivante, Henri construisait un autre moteur sur le même modèle, mais avec une cylindrée de 4,5 litres et une distribution multisoupapes inclinée à 30°. Les deux arbres étaient cette fois entraînés par une cascade de pignons et non plus par un arbre vertical avec renvoi d'angle. Avec ce moteur, Jules Goux remportera le Grand Prix d'Amérique à Indianapolis en 1913. Une victoire qui ne passa pas inaperçue. L'aventure de Peugeot aux USA n'était pas terminée, puisque, l'année suivante, Duray finit en seconde position dans la même épreuve et que nombre de Peugeot de G. P. restèrent sur le continent américain.
Pendant la Grande Guerre, les Usines de Sochaux et de Valentigney donnèrent toute leur capacité à l'effort de guerre. Après quoi, l'actif industriel devait être intégralement rénové. Dans ces conditions, la direction refusa de réouvrir le Service des Courses. Ce qui n'empêcha nullement un privé de remporter Indianapolis en 1919 avec une Grand Prix Peugeot de 1914 !
Pendant ces années, Ernest Henri poursuit ses chimères de multisoupapes et réalise un moteur 8 cylindres 32 soupapes de 4,5 litres de cylindrée. Par l'entremise du pilote René Thomas, les Établissements des Moteurs Ballot acceptent en 1919 de construire ce moteur et la voiture qui va autour. Le premier moteur totalisait 4,9 litres de cylindrée et le deuxième 3 litres pour être en conformité avec les nouvelles normes d'Indianapolis. Les Ballot remporteront un palmarès en dent de scie, mais pour des raisons qui ne tenaient pas à leur motorisation. Les Moteurs Ballot, qui n'avaient jamais construit ni voitures ni bolides de course, conserveront une belle notoriété avec les 8 cylindres double arbre dus à Ernest Henri, ingénieur hors pair qui sombrera pourtant dans la misère...
La filière américaine
La prestation de la Peugeot quatre soupapes à Indianapolis ne passa pas inaperçue. En 1916, un industriel du nom de James Yarian redessine le moteur de Jules Goux et lance une production américaine sous la marque Premier. Avant lui toutefois, il y avait eu "Wild Bob" Burman. Ce pilote de renom avait racheté la voiture victorieuse de 1913 pour écumer quelques courses de côte. Mais en septembre 1915, il cassa le moteur à San Diego. Devant l'incapacité de l'agence new-yorkaise et les soucis de l'usine sochalienne qui avait bien d'autres lions à fouetter, Burman se rendit chez Harry Miller, autre génie de la mécanique qui entretenait la Peugeot de Dario Resta. Burman pressa Miller de lui reconstruire un moteur. Avec John Edward, le dessinateur, et son chef d'atelier Fred Offenhauser, Harry Miller créa "son" double arbre, le premier d'une longue série qui, sous la marque Miller puis Offenhauser, allait assurer l'avenir des champions d'Indianapolis pendant 50 ans...
Bugatti 37 B. La reine des circuits : 8 cylindres, 24 soupapes, 1 compresseur. Une incontestable réussite pour l'époque. La plus titrée des voitures en course. D.R.
Depuis 1991 Saab a adopté l'Ecopower : un concept d'avenir reposant sur une technologie turbo, une distribution multisoupapes, une gestion électronique d'analyse des admissions et des échappements. D.R.
L’histoire des moteurs multisoupapes ne saurait ignorer les Bugatti 35 et ses dérivés, pour lesquelles le Commendatore avait opté pour une distribution à trois soupapes (deux à l'admission, une à l'échappement). Le palmarès éloquent de ces voitures ne peut que confirmer le souffle d'une telle distribution.
Après 1945, les motoristes de compétition n'oublierons pas la "loi des grands nombres" : Climax, Matra, et surtout Cosworth l'adopteront. Ce dernier trouvera même un débouché dans la série avec Ford et Mercedes. Les générations d’après 1975 tâteront également de cette technologie sur les sportives de haut niveau (Ferrari, Lamborghini, Lancia), les Japonaises endiablées (Honda, Yamaha et Mazda), les grandes routières (Opel, Saab, Peugeot), sans oublier Volkswagen et sa Golf GTI.
Le bon choix ?
Le choix des moteurs à soupapes multiples s’avère pertinent à plus d’un titre : il fait appel à une certaine noblesse mécanique et permet de développer des évolutions sportives en grande série, lesquelles n'auraient jamais existé autrement. Et si, comme disent les anglo-saxons, la course améliore la race (Racing improves the breed), aphorisme que l'on énonce chez nous sous la formule républicaine de démocratisation des techniques de pointe, c'est bien dans le recours aux soupapes multiples que cette expression se justifie.
A l'origine, le problème consistait à limiter les pertes de charge dues à l'inertie de la colonne gazeuse et aux mouvements pulsatoires résultant de l'enchaînement rapide des ouvertures et fermetures des admissions. Il faut savoir qu'à 5000 tr/mn, chaque soupape s'ouvre et se ferme 40 fois par seconde ! A ce rythme (pourtant moyen), la colonne gazeuse subit des contre-pressions qui s'opposent à l'aspiration du piston en phase d'admission.
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Il va sans dire que les hauts régimes nuisent à la respiration du moteur et donc à son remplissage. Poussé à l'extrême, ce phénomène entrave la montée en régime, tout simplement par manque de carburant. A ce stade, le moteur trouve donc naturellement son régime maximum, à supposer que l'on maîtrise l'affolement des ressorts de soupapes et ses conséquences.
Augmenter le régime moteur est effectivement le moyen d'accroître la puissance, mais il doit s'accompagner d'une augmentation de la levée des soupapes et/ou du temps d'ouverture. Or cela ne peut se faire, dans le cadre du cycle à quatre temps, sans tenir compte des temps de compression et de détente : car, plus on augmente le temps de remplissage, plus on réduit le temps de compression et donc le rapport volumétrique, donnée fondamentale pour le rendement théorique. Inversement, si on accélère l'ouverture de l'échappement (AOE) pour faire place nette dans le cylindre, on gaspille une partie de la détente des gaz. Si l'on veut optimiser le remplissage, il faut donc prévoir un temps d'admission important en décalant l'avance à l'ouverture (AOA) et le retard à la fermeture (RFE) ; mais il faut également prévoir l'augmentation du diamètre des ouvertures (conduits et soupapes). Or, ces dernières restent fonction de l'alésage du piston et du dessin de la chambre, qu'elle soit plate, hémisphérique ou "Héron". Dans cette logique, deux petites soupapes valent mieux qu'une grosse, complexité de montage et coût global mis à part.
La P.M.E
Dépassant le débat entre la durée angulaire d'ouverture et le diamètre des soupapes (diamètre qui détermine le débit des gaz en fonction de la hauteur de levée et de l'angle de portée), ce sont les mouvements de la colonne gazeuse qui posent de rudes problèmes de mise au point. On sait que le mélange est sujet à des désordres dans son écoulement suite au travail des soupapes. En revanche, on peut profiter de ces désordres pour créer une surpression judicieusement placée, à savoir devant la soupape qui doit s'ouvrir. Cette surpression s’ajoute à la dépression du piston pour remplir pleinement le cylindre. Même chose à l'échappement, où l'on utilise la dépression pour extraire les gaz brûlés. Il faut donc accorder la longueur des tubulures en fonction de la cylindrée, du diamètre de l'admission et du régime choisi. L'idée étant de profiter de l'admission ou de l'échappement du cylindre voisin, qui donne une certaine vitesse aux gaz, pour créer en fonction de l'ordre d'allumage une surpression à l'admission et une dépression à l'échappement. Cet accord se chiffre actuellement en pression moyenne effective (PME), mais autrefois, on le chiffrait en ramenant le rendement au litre à une donnée constante (1000 tr/mn en l'occurrence). Ainsi, en supprimant les paramètres de la cylindrée et du rendement mécanique, on pouvait se faire une idée intéressante sur le remplissage et la respiration de son moteur par comparaison avec d'autres.
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A titre d’exemples, la Peugeot pachydermique développait un rendement au litre stabilisé à 1000 tr/mn de 7,7 ch, la Ballot 9,3, le Climax (de 1965) 14,2 et le V12 Matra 17,2. Ces chiffres peuvent être comparés à un moteur turbocompressé comme celui de l'EB 110 (3499 cm3, 60 soupapes et 560 ch à 8000 tr/mn), qui affiche un rendement stabilisé à 1000 tr/mn de 20 ch ! En ce qui concerne les voitures de production, une Testarossa donne 12,6 pour 79 ch/l, alors qu'une Countach donne le même chiffre pour 89 ch/l : c'est dire si, contrairement aux apparences, la première respire bien. Une Golf 16 S donne 12, une Golf 8 soupapes 10.
Effets secondaires
Longtemps cantonnée à la compétition, la distribution à soupapes multiples a aujourd’hui investi la production automobile. Ce n'est plus la recherche exclusive du remplissage maximum et de la puissance qui préside à ce choix, mais l'optimisation de la combustion aux régimes intermédiaires. L'optimisation du remplissage, et par conséquent de la combustion, permet une augmentation sensible du couple moteur, garant de meilleures reprises et d'un indéniable confort de conduite. Surtout, grâce à la gestion informatisée de l'injection et au contrôle de la richesse par la sonde Lambda, les multisoupapes permettent une combustion plus régulière, qui abaisse la consommation et les émissions d'imbrûlés. Un effet secondaire qui confère aux multisoupapes une nouvelle jeunesse...
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