Alexandre Lenoir le 12/02/2024
C'est dans la Zona Franca, la zone franche qui jouxte le port de Barcelone depuis 1953, que nous sommes accueillis pour une visite de la Collection, à l'endroit même où la production de la toute première Seat de l'histoire, la 1400, a débuté en novembre 1953. Comme un peu partout en Europe au sortir de la guerre, l'heure est à la reconstruction et au développement économique, le desarrollismo comme on dit alors dans l'Espagne franquiste. Avant la guerre, en Italie, Mussolini avait eu sa Fiat Topolino et l'Allemagne d'Hitler s'était mise en route avec la Volkswagen. Il manquait toujours à l'Espagne une marque populaire et ce fut Seat, en 1950. Il faudra pourtant attendre 1957 pour que la Seat 600, copie de la Fiat 600, permette au peuple espagnol de se motoriser. Lorsqu'elle sort, il faut malgré tout cumuler trois ans et demi du salaire moyen pour s'offrir cette petite auto qui sera ensuite déclinée en de multiples versions et même rallongée pour disposer de quatre portes. Succès aidant, la production augmente et le prix baisse. La 600 est incontestablement l'auto qui popularise Seat et, au total, la marque en produira 800 000 unités jusqu'en 1973, en quelque sorte remplacée par la 127, copie de la Fiat éponyme lancée en 1972.
Durant leur mariage, Seat et Fiat ont connu diverses fortunes et produit des véhicules parfois improbables, notamment sur base SIATA (une autre marque italienne aujourd'hui disparue). Il y eut aussi une Papamóvil sur base de Fiat Panda, bricolée en 15 jours en 1982 pour que sa Sainteté Jean-Paul II puisse entrer à l'intérieur du stade de Madrid alors que la Mercedes Classe G était trop grosse pour passer le tunnel d'accès à la pelouse.
La coexistence entre Seat et Fiat a duré jusque dans les années 80, avec un point de rupture définitive située en 1982. Bien qu'un accord de coopération entre les deux marques ait été signé en 1981 après que les discussions pour que Fiat rachète tout Seat aient capoté l'année précédente, la marque espagnole lance alors la Ronda. Cette compacte, première d'une longue lignée - avec la Marbella - à porter le nom d'une ville, arbore le seul logo Seat et s'émancipe de Fiat. La marque italienne, elle, y voit une copie de Ritmo et attaque en justice. L'affaire sera tranchée l'année suivante en faveur de Seat à Paris. Le divorce est consommé, mais Seat est en difficulté et trouve alors en Volkswagen un partenariat technique qui se soldera, en 1986, par l'absorption de la marque par le groupe allemand.
C'est en 1984 que naît l'Ibiza, première Seat véritablement née hors base Fiat. C'est dire si l'auto est importante. C'est aussi la première Seat issue d'un projet Volkswagen, en l'occurrence celui d'une Golf II finalement avorté pour devenir ce que l'on sait.
Nous avons eu l'occasion de monter à bord d'une Ibiza Mk 1 et d'effectuer quelques kilomètres à son volant. Dessinée par Giugiaro (à qui l'on devait alors la Golf 1), cette citadine de 3,64 m de long, dans la version GLX qui nous est confiée, est équipée d'un moteur 4 cylindres à carburateur de 1 461 cm3 « système Porsche » qui développe 85 chevaux. Elle peut alors emmener ses 920 kilos jusqu'à 170 km/h en pointe.
La première chose qui imprime l'ambiance VW, c'est la poignée de porte, typique de celle d'une Golf de l'époque. Ensuite, pour le conducteur, c'est aussi et surtout l'implantation des commandes en satellite autour du combiné porte instrument et qui évoque inévitablement quelques Citroën et Fiat contemporaines. Si l'ergonomie est parfois étonnante (il faut par exemple tirer une palette pour klaxonner), c'est surtout un moyen radical de se plonger dans l'ambiance de ces années pop.
Malgré ses dimensions modestes, l'auto surprend par son habitabilité. Selon les standards de construction actuels, il faudrait probablement 40 à 50 centimètres de plus en longueur et une vingtaine en largeur pour se trouver aussi à l'aise. Les sièges en tissu à grosse maille sont plus fermes qu'ils ne paraissent au premier coup d'œil et ce trompe l'œil se prolonge dans la direction : non assistée, on peinerait presque à manœuvrer cette auto pourtant légère. Et une fois lancée, alors que l'on s'attend assez logiquement à des mouvements de caisse un peu aléatoires, on est surpris de se retrouver presque propulsé contre le ciel de toit au premier ralentisseur. « C'était ça, les amortisseurs de l'époque ? », demandera-t-on à nos hôtes. Les facétieux avaient en réalité installé une suspension rallye sur la petite Ibiza. Une manière, peut-être, de rappeler le passé sportif de la marque, mainte fois récompensée en WTCC dans la seconde moitié des années 2000 avec Yvan Muller et Gabriele Tarquini, mais aussi trois fois en WRC 2L avec une certaine Ibiza. Avant cela, Seat avait présenté plusieurs autos au championnat du monde des rallyes dès 1977, avec une toute première participation au Monte-Carlo cette même année.
En 40 ans, l'Ibiza a aussi donné lieu à divers prototypes et modèles de salon qui ne verront jamais le jour en série, tels un cabriolet (dommage !), une version électrique ou encore un spider.
En 2018, le label sportif Cupra (qui est aussi le nom d'une divinité dans la mythologie italique) s'émancipe pour devenir marque à part entière au sein du groupe Volkswagen. La cohabitation entre Seat et Cupra semble alors simple : Cupra déclinerait les modèles de Seat en version sportive. Mais tout n'est pas si évident et, bien que la marque réfute l'idée que l'une soit sacrifiée au profit de l'autre, l'actualité produit de Seat ces dernières années s'est révélée moins riche que celle de Cupra qui a bénéficié de modèles à part entière, tel le Formentor ou la Born, basé sur une VW ID. 3. Dans ce même temps, Seat a positionné son discours sur le marché de la « mobilité urbaine », mettant en avant ses scooters électriques Mó sur base Silence, ainsi que ses trottinettes.
Quoi qu'il en soit, la célébration des 40 ans de la petite Ibiza passe par une série limitée Anniversary de la cinquième génération, née en 2017. Pour l'occasion, elle se pare d'un coloris gris graphène exclusif et de quelques équipements spécifiques, tels des sièges baquets et des parements en alu sur la console centrale. Un peu plus tard cette année viendra aussi le temps du restylage de la compacte Leon.