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Mariages et rachats entre constructeurs : ça bouge à nouveau
Cédric Morançais le 08/06/2017
Après quelques années d'accalmie, les grandes manœuvres entre groupes automobiles ont repris il y a quelques mois. Au-delà de l'aspect « image », ces rapprochements, parfois enfantés dans la douleur, ont-ils des conséquences pour les automobilistes ?
Une évolution plus lente que prévue
Il y a moins de trente ans, de nombreux observateurs prédisaient que le monde ne compterait plus que cinq groupes automobiles majeurs à l'orée du XXIème siècle. Nous sommes en 2017, et ce nombre dépasse encore largement la quinzaine. Contrairement à ce qui s'est passé durant la première moitié du XXème siècle, il y a, en effet, assez peu de marques qui ont purement et simplement disparues ces dernières années. Quant aux nombre de rachats et mariages, il a été relativement limité jusqu'à il y a peu. En parallèle, nous avons même assisté à des divorces (Daimler et Chrysler par exemple) ainsi qu'à l'émergence de nouveaux géants du secteur en provenance de Chine et d'Inde.
Depuis peu, l'actualité économique est toutefois, à nouveau, rythmée par des rapprochements. Un mouvement dans lesquels les Français tiennent, une fois n'est pas coutume, la corde. Faut-il y voir les prémices de l'hyper-concentration maintes fois annoncée ? Ces opérations peuvent-elles profiter aux possesseurs de modèles des marques concernées ?
Des Européens qui font mieux que résister
Il y a trente ans, les groupes automobiles européens ne cessaient de proclamer que leurs rivaux japonais allaient ne faire qu'une bouchée d'eux. La situation actuelle est très loin de confirmer ces inquiétudes puisque le numéro un mondial est désormais allemand (Volkswagen Group), que les marques premium allemandes règnent presque sans partage sur le marché de la voiture huppée et que même les deux Français, PSA Groupe et Renault sont toujours là. Ces deux derniers affichent même une forme éblouissante. Il y a quelques mois, le premier annonçait le rachat de la filiale européenne de General Motors (Opel/Vauxhall) tandis que le second a successivement racheté Dacia, Samsung Motors et Avtovaz (le constructeur de Lada), et vient de relancer Alpine. Il profite également des juteux dividendes que lui rapportent les 43 % de Nissan et de ses filiales (Datsun, Infiniti, Venucia et désormais Mitsubishi) qu'il possède.
Outre-Rhin, c'est le groupe Volkswagen qui n'a cessé de grossir. En vingt ans, le géant allemand a mis la main sur Bentley (1998), Bugatti (1998), Lamborghini (1998, via Audi), les camions Scania (2008), Porsche (2009), les utilitaires et poids-lourds MAN (2011) et les motos Ducati (2012, également via Audi). Au bord de la faillite à l'orée des années 1990, Volkswagen est désormais le numéro un mondial devant Toyota.
Nos voisins italiens ne sont pas en reste puisque, profitant de la crise financière et de la mise en liquidation de Chrysler qui en a découlé, le groupe Fiat a mis la main sur le numéro 3 américain en 2009. Auparavant, Chrysler et ses marques satellites avaient déjà fait partie du groupe Daimler-Benz, constructeur des Mercedes, entre 1998 et 2007. La situation est toutefois difficile pour le groupe italo-américain et certaines rumeurs prétendent que les activités automobiles seraient à vendre.
En parallèle à ces consolidations, quelques marques européennes ont, elles, été rachetées par des rivaux venus de très loin. Ainsi, le Chinois Geely a acquis, en 2010, la filiale automobile de Volvo, tandis que Jaguar et Land Rover passaient, crime de lèse-majesté, sous le pavillon de Tata, groupe industriel majeur de l'ancienne colonie indienne. Deux transactions qui ont été validées en 2008.
La clé du développement des gammes
Pour un groupe automobile, racheter des concurrents n'est pas qu'une histoire de mégalomanie. Il s'agit souvent, et surtout, d'un préalable indispensable à la survie. Cette survie tient principalement au concept des économies d'échelle. C'est-à-dire qu'il est plus facile d'amortir les coûts de développement d'un nouvel élément, un moteur par exemple, si celui est produit à 200 000 exemplaires par an que s'il est produit à seulement 20 000 unités. Ces fameuses économies d'échelle servent, bien sûr, à assurer des bénéfices à ces entreprises. Mais les automobilistes en profitent aussi. En effet, sans la possibilité d'utiliser à très grande échelle des pièces communes (plateforme, moteurs, équipements électroniques...), les constructeurs n'auraient pas pu, d'un point de vue économique, développer des gammes aussi larges que celles qu'ils possèdent aujourd'hui. Ainsi, en 1980, la gamme Volkswagen européenne ne comptait que treize variantes de carrosserie distinctes, hors véhicules utilitaires. Aujourd'hui, ce chiffre est grimpé à 22. Pour les marques premium, la progression est encore plus impressionnante. Dans le même laps de temps, Audi est passé de 7 à 26 variantes, BMW de 6 à 26 et Mercedes de 11 à 31 !
Les fonds libérés par ces économies d'échelle servent également au développement de nouveaux types de motorisations, tels que l'hybride ou l'électrique, et ont participé au développement massif des fonctions électroniques à bord de nos autos.
L'hyper-concentration n'a toutefois pas que du bon. Poussée à son paroxysme, elle pourrait conduire certains groupes à abuser de la situation car, c'est bien connu, seule une saine concurrence reste profitable, quoiqu'il arrive, aux consommateurs. Ainsi, le groupe Volkswagen, qui détient aujourd'hui presque un quart des ventes en Europe, est régulièrement accusé par certains de ses concurrents d'entretenir une guerre des prix qui met certains d'entre eux en difficulté. Ces derniers brandissent le risque d'un groupe ultra-dominant qui pourrait, à terme, imposer sa loi sur notre marché.
Autre travers de cette course à la diversification, elle empêche de consacrer les économies réalisées lors des étapes de conception et de fabrication sur le prix des autos neuves mais aussi de leurs coûts d'entretien. L'exemple de Dacia, qui utilise un maximum d'éléments issus, souvent d'ancienne génération donc largement amortis, de la banque d'organes du groupe Renault, prouve ainsi que proposer des voitures toujours plus sophistiquées ne correspond pas à l'attente d'une bonne part des acheteurs.