Saga Pegaso
Rarement dans l’histoire, une marque automobile aussi éphémère aura laissé dans son sillage un parfum aussi corsé que Pegaso.
sommaire :
PEGASO Z 102
Gilles Bonnafous le 02/11/2004
Entièrement conçue et fabriquée en Espagne, la Pegaso Z102 est dévoilée au salon de Paris de 1951, où sa mécanique fait sensation : un magnifique V8 de 2,5 litres tout en alliage léger, lubrifié par carter sec et dont la distribution se fait par quatre arbres à cames en tête entraînés par pignons. La voiture, qui reçoit selon le vœu du client un ou deux carburateurs de 36 millimètres, développe de l’ordre de 180 ch. Une version 2,8 litres est également annoncée. Dotée d’un différentiel autobloquant ZF, la transmission est confiée à une boîte-pont à cinq rapports (première non synchronisée) placée en porte-à-faux arrière.
Première Z 102 D.R
Première Z 102 D.R
Constitué d’une plate-forme à caissons, une structure semi-portante intégrant les passages de roues, les parois du compartiment moteur et l’auvent, le châssis n’est pas en reste. Doué d’une grande rigidité, il a aussi l’avantage d’autoriser le montage de carrosseries spéciales. La suspension avant est à roues indépendantes par barres de torsion, tandis qu’à l’arrière prend place un pont De Dion soutenu par des bras de traction et de réaction. Le freinage est assuré par quatre tambours Lockheed en aluminium, accolés au pont à l’arrière — les freins seront le point faible de la Pegaso, par ailleurs douée d’une excellente tenue de route.
Grâce à son raffinement technologique, le pur-sang espagnol s’installe au pinacle de la production mondiale. Bien que la Z102 affiche une ligne expressive, immense capot et poupe brève, elle se révèle assez massive et ne brille guère par son élégance. Appelée « Barcelona » ou « ENASA » car réalisée en Espagne (par opposition aux Z102 à venir dont les caisses viendront d’Italie et de France), cette berlinette apparaît typique des GT de l’après-guerre, où les stylistes tentent d’apprivoiser la nouvelle carrosserie ponton venue des Etats-Unis.
En réalité, seuls cinq prototypes et véhicules d’avant série ont été réalisés, dont aucun n’a vraiment subi d’essai de mise au point. Il reste donc beaucoup à faire et l’année 1952 sera consacrée à effectuer les modifications nécessaires.
Pegaso Z102 Barcelona 1952 D.R
Moteur 2,5l de la Pegazo Z 102 D.R
La production démarre véritablement avec la Z102 B qui, exposée au salon de Paris de 1952, bénéficie d’améliorations techniques et esthétiques. La partie antérieure de la voiture est notamment modifiée et la calandre arbore la croix qui orne également les camions. Le moteur est proposé en trois variantes de cylindrée, 2,5 litres, 2,8 litres et 3,2 litres et en plusieurs taux de compression (7,8, 8,2 ou 8,8 à 1). Elle peut être également alimenté par un, deux ou quatre carburateurs Weber. Les puissances développées sont les suivantes : 142 ch à 6000 tr/mn avec un carburateur Weber double corps pour le moteur 2,5 litres, 160 ch avec un Weber et 172 ch avec quatre Weber pour le 2,8 litres, 210 ch pour le moteur de 3,2 litres (couple de 25 mkg à 3500 tr/mn). Les Pegaso peuvent même recevoir un compresseur de type Roots, qui permet au V8 d’offrir plus de 280 ch (type Z102 BS).
La vitesse atteint 200 km/h à 260 km/h selon la motorisation et le rapport de pont choisis, ce qui fait de la Pegaso la voiture (commercialisée) la plus rapide du monde avec la Ferrari 340 America. Pour prouver leurs capacités, deux Z102 sont envoyées en septembre 1953 en Belgique pour s’attaquer à des records de vitesse sur la célèbre autoroute belge près de Jabbeke. Avec la seconde voiture pilotée par Celso Fernandez (le moteur de la première, la Bisiluro, ayant rendu l’âme), Pegaso bat les records du kilomètre et du mile (départs arrêtés et lancés) pour voitures de sport établis antérieurement par Jaguar. Un mois plus tard, une XK 120 spécialement préparée redonnera à la marque de Brown’s Lane les records lancés — mais pas ceux arrêtés.
Cabriolet Saoutchik 1ère série D.R
Spider Touring D.R
La Z102 B est réalisée en coupé deux places et en spider, confiés à deux carrossiers, Touring et Saoutchik. De loin la plus réussie, la berlinette Touring est un pur chef-d’œuvre. Design racé, sobriété et grande classe sont au rendez-vous, ce qui ne saurait surprendre de la part de la célèbre maison milanaise fondée par Felice Bianchi Anderloni. Elle sera la version la plus diffusée — sans doute plus de la moitié des Pegaso, soit une quarantaine, mais les sources sont sujettes à caution. C’est à elle que l’on pense aujourd’hui quand on évoque la firme espagnole.
Quant au carrossier français, intronisé importateur de la marque pour la France, il réalise deux séries de cabriolets et de coupés en 1953 et 1954. Le style baroque, mièvre et lourd, de la première, tout comme la ligne modernisée mais caricaturale de la seconde font très fin de race. Ces voitures (18 au total) illustrent le naufrage de la carrosserie française à cette époque.
Pegaso Berlinette Touring D.R
Cabriolet Saoutchik 2e série Motorlegend.com
L’usine se chargera de plusieurs versions spéciales comme les deux Cupula présentées à Paris en 1952, et à New York l’année suivante dans le cadre d’une tournée promotionnelle organisée avec l’importateur américain Brewster. Surnommée « Rose de Thé » pour son étrange couleur, cette dernière sera vendue à Trujillo, le dictateur de Saint-Domingue. Pegaso réalisera également les superbes spiders de compétition (en aluminium ou fibre de verre) baptisés Rabassada, Pedraldes et Montjuich, ainsi que les deux Bisiluro des records de vitesse. Outre deux magnifiques spiders, Touring présentera la « Thrill » au salon de Turin de 1953, un modèle expérimental (exemplaire unique) à la ligne aérodynamique exubérante mais fort réussie.
Pegaso Z 102 Cupula
Z102 Touring Thrill
L’année 1953 constitue l’apogée de Pegaso. Outre une activité débordante à l’international (salons, présentations diverses), elle sera la plus favorable avec une vingtaine de Z102 construites. Ce sera hélas le record de production sur une année… En 1954, la marque fait sensation au salon de Paris en exposant une Z102 à la carrosserie transparente réalisée en plexiglas sur base de coupé Touring. Pourtant, les nuages commencent à s’accumuler sur la firme et 1955 va réserver de bien mauvaises surprises.
Z102 en plexiglas salon de Paris 1954
Pegaso Z 102 1957