Acheter une TRIUMPH TR2 et TR3
Didier Lainé le 21/07/2003
L'efficacité procède souvent de la simplicité. Tel est le cas des TR2/TR3, deux "sacrés numéros" qui résument le meilleur de la voiture de sport anglaise d'après-guerre
La recette du succès
Cent fois sur l'ouvrage : la Triumph TR2 n'est pas née en un jour. Quelques brouillons sympathiques l'ont précédée dans ces années d'après-guerre où tout était à réinventer. On connaît bien l'histoire de ces milliers de MG et de Jaguar qui ont réussi à se frayer un chemin difficile jusqu'en Californie en passant par la Floride. Ce sont elles qui ont sauvé l'industrie automobile anglaise après 1945, ce sont elles qui ont convaincu les bureaucrates travaillistes du gouvernement Attlee que ce secteur d'activité méritait peut-être qu'on s'y attarde. Les amateurs américains les ont aimées, beaucoup, passionnément. Au point de faire la fortune de leurs constructeurs respectifs qui n'en espéraient pas tant. En industriel avisé qu'il était, Sir Black (patron tyrannique et néanmoins inspiré du groupe Standard Triumph) estima qu'il pourrait en faire autant. Dont acte.
Au Salon d' Earl's Court d'octobre 1952, le prototype de la future Triumph TR2 attend fébrilement le verdict du public sur le stand de Triumph. Verdict mitigé. Râblé et même un peu étriqué côté postérieur, l'engin manque encore de sex-appeal. Mais l'idée est dans l'air du temps. A ce même Salon, MG, Frazer Nash et Healey ont justement travaillé sur le même thème : celui d'une voiture de sport "moderne" (tout est relatif) destinée à prendre la place de la MG TC dans le cœur des sportsmen américains en rééditant à une échelle plus modeste l'effet de mode de la Jaguar XK 120.
Ce marché en émergence ne demandait qu'à être conquis, séduit, investi. Mais il y avait urgence. Miracle : en quelques mois, le brouillon prometteur du Salon d' Earl's Court va connaître une singulière métamorphose orchestrée par le talentueux tandem composé d' Harry Webster et de Ken Richardson. Et c'est à Genève, en mars 1953 que tout va vraiment commencer pour la dynastie des TR. Une dynastie née dans la précipitation mais les hommes de Triumph ont assurément bien travaillé. Voici donc venir la "TR 2" qui nous rappelle incidemment qu'il n'y eut pas officiellement de TR 1. C'est comme ça et c'est très anglais, dans un sens…
Première du genre à connaître le stade suprême de la production, ladite TR 2 a donc initié une "recette" (aujourd'hui, on parlerait plutôt de "concept") en reprenant à son compte des ingrédients privilégiés depuis des lustres par d'autres constructeurs anglais : un châssis robuste capable d'encaisser les coups de raquette avec flegme, un moteur coupleux emprunté à la grande série (celui de la TR2 avait déjà fait ses preuves sous le capot des vilaines Standard Vanguard comme des moins vilaines Triumph Renown, sans parler du tracteur Massey Ferguson), des suspensions rustiques mais, somme toute, efficaces et permettant de vivre la route en direct (et sans en sortir, autant que possible...), le tout habillé d'une carrosserie suggestive et juste assez "ouverte" pour inciter les frimeurs à sauter dedans sans ouvrir la porte…
La TR2
Sur la TR2, le chauffage était proposé en option. Tant qu'à faire de dépenser plus, mieux valait toutefois s'offrir un overdrive (pour la bonne santé du moteur) ou des sièges en cuir (pour le plaisir des sens et du séant).
Les sensations de conduite qu'elle promettait aux plus téméraires (ou aux plus inconscients) laissaient toujours des souvenirs cuisants sur route sinueuse. Des souvenirs qu'on prenait plaisir à évoquer fièrement dans les soirées entre amis pour mieux se parer de l'étoffe des héros. Ils n'ont cependant pas été très nombreux à s'en vanter. Produite d'août 1953 à septembre 1955, la TR2 n'a duré que ce que durent les bonnes intentions. 8628 amateurs, presque tous américains (ou canadiens, à défaut) ont tout de même pu découvrir ses charmes révélés et cachés. Deux ans seulement pour convaincre et installer la "TR attitude". En si peu de temps, la TR2 n'a cependant pas chômé. A peine lancée, elle a su faire parler d'elle en écumant les grands rallyes de l' époque tout en démontrant qu'une "vraie" voiture de sport pouvait aussi être bon marché. Son grand point fort qui sera aussi celui de toutes les TR à venir.
La TR3
Question : qu'est-ce qui ressemble le plus à une TR2 ? Réponse : une TR3. Ce qu'elle a de plus ? Une "vraie" grille de calandre proéminente, 5 chevaux de mieux, au début (grâce à un nouvel arbre à cames et des carburateurs mieux calibrés), 10 par la suite, le total atteignant donc 100 chevaux tout ronds (en fait, des "BHP" qui valent un peu moins que les bons vieux DIN allemands). Les performances suivront cette "irrésistible" escalade : bien réglée et moyennant un fort vent arrière, une TR3 vaut désormais près de 175 km/h (capotée) et 34'' environ au km. départ arrêté (la TR2 frôlait déjà les 170 avec 90 chevaux seulement). Voilà pour la série "préliminaire" commercialisée jusqu' à l'automne 1956.
C'est alors que la "petite" firme Triumph (elle n'est encore connue que de quelques spécialistes, notamment en France) va trouver le moyen d'étonner le monde en faisant profiter sa TR3 d'une paire de freins à disque à l'avant fournis en sous-traitance par l'honorable maison Girling. Innovation, révolution : en 1956, seule la très avant-gardiste Citroën DS l'a précédée dans cette voie. La TR3 qui n'en demandait sans doute pas tant s'en trouvera fort bien pourvue. La clientèle aussi qui va bientôt affluer dans les show-rooms de la marque et pousser sensiblement les cadences de productions des modestes chaînes de l'usine. Encore un petit effort et la TR3 deviendra TR3 A, un an plus tard. Quoi de neuf ? Peu de choses. Des poignées de portes "extérieures" peuvent, certes, apparaître comme une amélioration manifeste, d'un point de vue ergonomique. Plus anecdotiques, la nouvelle calandre élargie et les phares moins protubérants permettent de distinguer, de loin, la plus "populaire" des TR3, produite à 58 236 exemplaires, en l'occurrence. Auxquels on ajoutera 3331 TR3 B de fin de série. Un score stakhanoviste à l'échelle de Triumph qui s'explique sans doute par l'introuvable rapport sensations/prix revendiqué par cette voiture de sport aussi sincère qu'efficace et qui a laissé à ses heureux usagers le souvenir d'une "machine" à bouffer du kilomètre et capable de rivaliser en endurance avec un taxi Mercedes 190 Diesel (ou quasiment). Tel était le deuxième cadeau des dirigeants de Triumph qui savaient sans doute se mettre à la place du client en passant à la caisse. Il en reste quelque chose…
Au volant
Choisir une TR3 quand on s'attribue le titre de "collectionneur", c'est choisir de faire des économies pour rassurer son entourage. Sinon à l'achat, tout au moins à l'arrivée, c'est à dire au bout du voyage…
Correctement traitée, une TR3 ne demande guère qu'un peu d'essence, en effet (12 litres aux cent à bonne moyenne, guère plus), un bidon d'huile de 2 litres (plein, si possible...) rangé dans le coffre, au cas où et, de temps à autre, trois doigts de graisse pour faire l'appoint. C'est à peu près tout et, entre nous, ça coûte tout de même moins cher qu'un "contrat entretien" pour une Clio neuve. En contrepartie, la TR3 répond toujours présent quand on lui demande de partir par la route "toutes distances" et, à l'intérieur, ce n'est jamais le même voyage. Bruit, fureur (de vivre), vibrations, tremblements, odeurs et chaleurs "exotiques", commandes rugueuses et poigne de fer, vent dans les cheveux et moucherons en grappe sur les lunettes, tel est le programme minimum qui définit la "TR attitude". Facile à prendre en main, simple à assimiler, la TR3 sait ce qu'elle a à faire et elle le fait bien. Il y a toujours assez de chevaux sous le pied droit pour s'occuper un peu à "placer" le train arrière quand il s'oublie mais, globalement, cette Triumph demeure assez prévisible. Prévisible et très sympathique dans sa façon de prévenir.
Bilan : on s'amuse bien sans se faire peur et sans même devoir y laisser son permis. Et si le confort figure généralement aux abonnés absents, on a tout de même connu pire, dans le genre. Quand on contemple le portrait du très austère Sir Black (le patron tyrannique mais néanmoins inspiré du groupe Standard-Triumph à l'époque), on se demande comment un personnage aussi convivial qu'une cave de HLM à la nuit tombée a pu engendrer un engin aussi déluré. Peut-être faut-il y voir un échantillon de sa "face cachée". Sir Black trompait peut-être son monde...
Guide d'achat
A vérifier avant d'acheter
Chassis/carrosserie
Traces de corrosion : Joues d'ailes avant, entourages de montants de pare-brise, plancher de coffre, planchers intérieurs, piliers de portes, traverse avant, supports de caisse.
Moteur :
Pression d'huile (à chaud) au moins égale à 60 psi, régime à 2000 tours. Des claquements métalliques persistants trahissent des bielles en fin de vie ou des paliers de vilebrequin usés. Niveau d'huile à contrôler tous les 500 kilomètres (attention aux fuites...).
Transmission :
Contrôle du niveau de lubrifiant tous les 2000 kilomètres. Une boîte usée se manifeste par des bruits de pignons lancinants en 1ère et en marche arrière. L'overdrive optionnel (option très recommandable) qui agit sur les 3 rapports supérieurs doit s'enclencher et se désengager sans glissement suspect, signe d'usure des solénoïdes.
Suspensions :
Vérifiez soigneusement l'état des tourelles de suspension (corrosion apparente), des triangles supérieurs (avant) et des lames de ressort arrière. Les silentblocs ont également tendance à s'user prématurément, ce qui occasionne des vibrations dans les articulations et rend le comportement routier de plus en plus "incertain" (louvoiements, affaissement de la caisse en virage, déhanchements intempestifs du train arrière, etc). A noter que la plupart des articulations doivent être graissées à intervalles réguliers, toute négligence en la matière ayant pour effet d'accélérer leur vieillissement.
Notre avis
Si elle est la plus courante, la série TR3 A est aussi la plus demandée. Et pour cause : le modèle profite de multiples améliorations qui le rendent plus "fréquentable" à l'usage ( à commencer par ses poignées de porte extérieures munies de serrures…). Quelques options d'époque peuvent également faire la différence à l'achat : l'overdrive, bien sûr mais également le chauffage ( non proposé en série), le "tonneau-cover", le lave-glace ou la banquette arrière ( symbolique mais ça peut toujours servir…).
A noter qu'actuellement, la demande dépasse sensiblement l'offre et se concentre surtout sur des modèles en parfait état, déjà restaurés et régulièrement suivis en entretien. Les raisons de ce succès? La TR3 est réputée pour sa solidité et les pièces sont tout à la fois abondantes et bon marché. Tous ces critères prennent de plus en plus d'importance sur le marché de la voiture de collection…
Les TR2 et TR3 en chiffres
Disponibilité des pièces :
Excellente mais attention à la provenance (refabrications asiatiques à éviter, par principe).
Prix des pièces (quelques moyennes de prix)
Culasse neuve : 715 € env.
Pompe à eau : 110 € env.
Embrayage : 340 € env.
Echappement (inox) : 310 € env.
s Amortisseurs (paire Avant) : 160 € env.
Pare-chocs avant : 320 € env.
Pare-brise : 180 € env.
Principales caractéristiques et chiffres de production :
TR2 : 4cyl, 1991 cm3, 90 ch, 170 km/h. 8628 ex. produits.
TR3 : 4 cyl 1991 cm3, 95 puis 100 ch. 175 km/h. 13 377 ex. produits (freins à disque à partir de septembre 1956).
TR3 A : 4 cyl 1991 cm3, 100 ch. 175 km/h. 58 236 ex. produits.
TR3 B : 4 cyl 2138 cm3, 100 ch. 175 km/h. 3331 ex. produits (marché US surtout).
Cote (exemplaires en excellent état général ayant satisfait au contrôle technique) :
-TR2 (1953/55) : 22 000 € env.
-TR3 (1955-57) : 20 000 € env.
-TR3 A (1957-61) : 20 000 € env.
-TR3 B (1961-62) : 19 000 € env.
Note au lecteur : ce guide ayant été publié le 21/07/2003, les prix indiqués pour les pièces et la côte des véhicules risquent de ne plus refléter l'état actuel du marché.