Saga Matra
La branche automobile de Matra est née de la volonté de diversifier l'activité de l'entreprise très marquée par l'image militaire. En 35 ans, Matra Automobile a dignement honoré la meilleure part du génie automobile français, l’innovation conceptuelle.
sommaire :
Histoire : Matra et la compétition
Gilles Bonnafous le 24/03/2003
Si Jean-Luc Lagardère décide de s'engager dans la compétition automobile en 1965, c'est d'abord pour les valeurs qu'elle incarne et dont ses entreprises profiteront des retombées. Souci perfectionniste, esprit d'équipe et risque calculé joueront le rôle de catalyseur pour fédérer un groupe aux activités diversifiées et donner une image positive à une firme très impliquée dans l'armement.
Ces premiers temps de la compétition constituent le mythe fondateur de Matra-Sports, qui va participer à la résurrection du sport automobile français ainsi qu’à l’éclosion d’une nouvelle génération de pilotes. Un département compétition est créé en 1964, qui démarre par la formule de base, la F3. Les succès ne tarderont pas.
Monaco F3 1965 : première course d’une monoplace Matra Matra
Jackie Stewart, deuxième à Brands Hatch sur la MS 7 en 1967 Matra
Après les premiers essais réalisés le 21 mai 1965 à Montlhéry, la MS 1, à moteur Ford-Cosworth et structure monocoque, remporte sa première victoire le 1er juillet à Reims, pilotée par Jean-Pierre Beltoise. Ce dernier conclura l'année par le titre de champion de France de Formule 3 devant son coéquipier Jean-Pierre Jaussaud. L’année suivante, la MS 5, dont la coque est réalisée en alliage léger, domine la saison, avant que la MS 6 permette à Henri Pescarolo de devenir le meilleur pilote européen de F3 en 1967.
L'année 1966 a vu les débuts de Matra en Formule 2, un passage favorisé par la réglementation en vigueur, qui permet de conserver la même voiture — seul le moteur change et encore la cylindrée reste-t-elle identique (un litre). Mais la saison 1966 est outrageusement dominée par la Brabham-Honda. En 1967, la MS 5 s’avère dépassée, d’où la mise en chantier de la MS 7 équipée du moteur Ford-Cosworth FVA. Après avoir fait ses débuts à Rouen au mois de juillet, la monoplace remporte sa première victoire au Trophée d’Europe de F2 avec Jackie Ickx. Parallèlement, Matra prépare son accession à la Formule 1 en participant, avec la MS 7 de F2, aux Grands Prix des Etats-Unis et du Mexique.
Johnny Servoz-Gavin à Albi sur la MS 7 Matra
Jackie Stewart à Spa en 1968 sur la MS 10 Matra
Après avoir fait l’apprentissage de la monoplace en F2 et F3, Matra se lance dans le grand bain de la F1. Les moyens sont réunis. En janvier 1967, un accord de collaboration a été signé avec le pétrolier Elf et au mois d’avril, le gouvernement français a consenti à Matra un prêt de six millions de francs pour la construction d'un moteur de Formule 1 — ce sera la V12. Le nouveau logotype, un coq gaulois stylisé rouge sur fond bleu, témoigne à l’envi des ambitions de la marque.
La nouvelle réglementation, qui a porté la cylindrée des Formule 1 à trois litres, a créé une vive émulation chez les motoristes et les constructeurs de châssis. Prudent, Matra a choisi de courir avec deux moteurs, son propre V12 (MS 11) conçu par Georges Martin et le Ford DFV (MS 10).
Jackie Stewart en route vers la première victoire Matra en F1 : Zandvoort 1968 Matra
Jackie Stewart champion du monde 1969 Matra
La MS 10 débute au Grand Prix d’Espagne le 15 mai 1968 (avec Beltoise). A un moment où les Français ont d’autres préoccupations… Elle gagne ses premiers lauriers au Grand Prix des Pays-Bas à Zandvoort, où, sous une pluie battante, Jackie Stewart offre à Matra sa première victoire en F1. Il récidivera en Allemagne et aux Etats-Unis, devenant en fin de saison le dauphin de Graham Hill, sacré champion du monde. Pour une première saison, le résultat s’avère des plus flatteurs. Il tient pour une bonne part au talent de Jackie Stewart et à la collaboration très efficace de Ken Tyrrell, sans oublier le Ford-Cosworth. Quant à la MS 11, elle connaît le baptême du feu à Monaco. Après la belle deuxième place de Beltoise à Zandvoort, elle décevra pour la suite de la saison.
La MS 10 remportera sa quatrième et dernière victoire au Grand Prix d’Afrique du Sud de 1969 (Stewart). Après quoi, elle cède la place pour la saison à la MS 80, une voiture entièrement nouvelle (à l’exception du moteur Ford), dont le châssis a été conçu sous la direction de Bernard Boyer. La MS 80 écrasera le championnat en remportant cinq des neuf épreuves du calendrier. Dès sa deuxième participation au championnat du monde de F1, Matra remporte le titre grâce à Jackie Stewart (et Ken Tyrrell !).
Quatrième et dernière victoire de la MS 10 : Jackie Stewart au GP d’Afrique du Sud 1969 Matra
Jean-Pierre Beltoise sur la MS 80 au GP de Monaco 1969 Matra
Mais Matra voudrait bien gagner avec son V12. Or Jackie Stewart et Ken Tyrrell, fidèles à Ford, ne l’entendent pas ainsi. Jean-Luc Lagardère ne cède pas et constitue pour 1970 une équipe entièrement française avec comme pilotes Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo.
Jean-Pierre Beltoise sur le circuit de Charade : GP de France 1969. Matra
Chris Amon au GP d’Italie à Monza en 1971. Matra
Dépassé en performances, le V12 Matra est remanié par Georges Martin. La culasse est modifiée et l’angle des soupapes ramené de 56° à 33,4°. Ceci s’accompagne d’une évolution structurelle, puisque le moteur est désormais porteur, le train arrière étant boulonné sur la boîte. Mais la MS 120 et son V12 ne parviendront jamais à s’imposer au cours de la saison 1970, dominée par la Lotus 72 de Rindt. La voiture ne pourra faire mieux que des troisièmes places acquises à Monaco, en Belgique et en Italie.
Mobilisé à la fois par les 24 Heures du Mans et par la F1, Matra se disperse et ne parvient à réussir sur aucun de ces deux fronts. Le moteur V12 ne soutient pas la concurrence et après des saisons 1971 et 1972 très décevantes — quelques points marqués seulement —, Jean-Luc Lagardère décide de renoncer à la Formule 1 pour se consacrer exclusivement aux sports-prototypes. Quelques années plus tard, le V12 remportera enfin son premier Grand Prix en motorisant la Ligier JS 7. Ce sera en Suède en 1977, soit neuf ans après ses débuts en F1.
Chris Amon à Charade en 1972. Matra
Logo Matra. Matra
On sait que le rêve et l’objectif annoncé de Jean-Luc Lagardère est de s’imposer au Mans. Le début des grandes manœuvres a commencé pour les sports-prototypes en 1966 avec la MS 620. Dotée d’un châssis tubulaire, cette dernière est motorisée par le deux litres BRM, un V8 dérivé du 1500 cm3 avec lequel Graham Hill a été sacré champion du monde de F1 quatre ans plus tôt. C’est une voiture laboratoire, dont pas moins de trois exemplaires sont néanmoins alignés aux 24 Heures 1966 -— où ils se situeront loin des Porsche Carrera 6.
Pour 1967, une nouvelle berlinette est développée, la 630, toujours équipée du moteur BRM, et dont la ligne surprend par ses angles acérés. L’apprentissage laborieux se poursuit et la voiture abandonnera au Mans comme aux 12 Heures de Reims. Le grand jour arrive en 1968, quand la 630 reçoit le V12, qu’elle étrenne en course aux 1000 Kilomètres de Spa. Lors des 24 Heures du Mans, disputées en septembre pour cause de révolution…, Pescarolo se retrouve à la deuxième place le dimanche matin, après avoir roulé la nuit sans essuie-glaces sous une pluie battante ! Hélas, une crevaison gâchera la fête qui s’annonçait.
Les trois 620 BRM au départ des 24 Heures du Mans 1966 Matra
La 630 de Pescarolo et Servoz-Gavin aux 24 Heures du Mans 1968 Matra
La 630 courra encore au Mans en 1969, mais vieillie, elle s’effacera au profit de la barquette 650, beaucoup plus moderne. Bénéficiant d’une structure monocoque en alliage léger dessinée par Bernard Boyer, cette dernière fait pratiquement jeu égal avec la Porsche 908 dans la Sarthe, Jean-Pierre Beltoise et Piers Courage prenant la quatrième place. Le circuit de Montlhéry verra la première victoire de la 650 à l’occasion des 1000 Kilomètres de Paris.
En 1970, le circuit manceau est pour Matra une véritable bérézina. Dépassées par les Alfa Romeo, les voitures sont toutes éliminées par des problèmes de segmentation, y compris la 660, allégée et à l’aérodynamique perfectionnée. En octobre, cette dernière remportera les 1000 Kilomètres de Paris avec l’équipage Brabham-Cevert — ce sera sa seule victoire. On retrouve la 650 plus en forme sur les routes du Tour de France, qu’elle remporte aisément avec Beltoise-Depailler, s’offrant même le doublé (Pescarolo-Jabouille). Elle récidivera l’année suivante avec Gérard Larrousse et Johnny Rives. Les 650 ont été adaptées à leur nouvelle et insolite mission, avec une garde au sol rehaussée de dix centimètres, un blindage de protection des carters, un habitacle biplace, etc.
24 Heures du Mans 1972 : la 670 de Cevert-Ganley devant celle de Pescarolo-Hill. Matra
Graham Hill donne à Matra sa première victoire au Mans en 1972 Matra
Après une année de transition, la 670 arrive en force sur le circuit de la Sarthe en 1972, que Ferrari, le titre de champion du monde des marques en poche, a déserté… Matra se retrouve donc dans le rôle inattendu de favori face aux Alfa Romeo 33 TT3 et aux Lola T280. La consécration arrive enfin pour Matra, qui ne fait pas les choses à moitié en réalisant le doublé (Graham Hill-Henri Pescarolo et Cevert-Ganley).
L’abandon de la Formule 1 permet à Matra de ne plus se consacrer uniquement aux 24 Heures du Mans, mais à l’ensemble des épreuves du champion du monde des constructeurs. Dès 1973, la marque remporte le titre en battant Ferrari grâce aux cinq victoires de l’imbattable tandem Pescarolo-Larrousse. Matra triomphe pour la deuxième fois au Mans (Pescarolo et Larrousse au volant de la 670 B), cette fois en dépit d’une forte opposition Ferrari.
Le Mans 1973 : le goût de la victoire : Jean-Luc Lagardère avec Larrousse et Pescarolo Matra
24 Heures du Mans 1974 : les trois 670 B et la 680 sur la piste Matra
C’est sans grande concurrence que la marque aborde l’épreuve mancelle en 1974. Malgré quelques frayeurs en course, Matra s’y adjuge un troisième succès consécutif, auquel s’ajoutera en fin de saison un deuxième titre de champion du monde grâce à la 670 C, qui s’imposera sur tous les circuits de manière insolente — neuf victoires sur dix courses !
Après ce festival, Matra décide de se retirer de la compétition, fort d’un palmarès éloquent : 133 victoires, quatre titres mondiaux et trois victoires au Mans. Mission accomplie pour Jean-Luc Lagardère, à qui l’on doit d’avoir écrit, avec toutes ses équipes, quelques-unes des plus belles pages du sport automobile français.
1000 Kilomètres de Brands Hatch 1974 : doublé Matra avec la 670C Matra
Le V12 Matra Matra
LE PALMARES MATRA
133 victoires au total
Monoplaces :
3 titres de champion de France F3
1965 : Jean-Pierre Beltoise
1966 : Johnny Servoz-Gavin
1967 : Henri Pescarolo
5 titres de champion de France F1/F2
1966 : Jean-Pierre Beltoise
1967 : Jean-Pierre Beltoise
1968 : Jean-Pierre Beltoise
1969 : Jean-Pierre Beltoise
1970 : Henri Pescarolo
1 titre de champion du monde des conducteurs de F1
1969 : Jackie Stewart
1 Coupe des constructeurs de F1 en 1969
Sport-prototypes :
2 titres de champion du Monde des constructeurs en 1973 et 1974
3 victoires aux 24 Heures du Mans
1972 : Pescarolo-Hill
1973 : Pescarolo-Larrousse
1974 : Pescarolo-Larrousse
2 victoires au Tour de France automobile
1970 : Beltoise-Depailler
1971 : Larrousse-Rives