Les concept cars de la General Motors
Une plongée dans l'imagination débordante des années 50 et 60, période bénie du design et synonyme de rêve au pays de l'Eldorado automobile.
sommaire :
BUICK Le Sabre
Gilles Bonnafous le 12/11/2001
Présentée en 1951, la Buick Le Sabre apparaît comme l'un des plus importants concept cars construits par la General Motors. Bourré d'innovations, dont certaines ne sont pas encore appliquées de nos jours à la série, ce superbe cabriolet deux places aux lignes surbaissées est sans doute, avec la Y-Job, le chef-d'œuvre d'Harley Earl.
En 1946, le charismatique patron du Style de la General Motors décide de donner un successeur à la Y-Job présentée en 1938. Mais les designers et les ingénieurs ont tant de propositions stylistiques et technologiques à faire valoir qu'il apparaît rapidement qu'un seul véhicule ne suffira pas. On construira donc deux voitures : ce seront les Buick Le Sabre et XP-300.
Fruit de la collaboration entre la Styling Section de la General Motors et l'état-major Buick, le projet est dirigé par Harley Earl et Charles Chayne, ancien ingénieur en chef Buick devenu Vice-président de la G.M. en charge de l'ingénierie. Considérées comme des laboratoires d'innovations, les deux voitures mobilisent le savoir-faire de 450 ingénieurs. L'objectif de ces derniers est de prouver que les hautes performances sont compatibles avec un confort de grand standing. Toutefois, Harley Earl est le premier à affirmer que le réalisme industriel et la fiabilité d'un grand nombre des innovations proposées ne sont pas encore démontrés.
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La Buick Le Sabre connaît un retentissement considérable, aux Etats-Unis comme en Europe. En France, elle est la vedette du salon de Paris de 1951, où elle bat des records de curiosité auprès d'un public admiratif. La revue L'Automobile lui consacre même la couverture de son numéro de novembre 1951, avec à l'intérieur deux pages de compte-rendu sur le dream car. Hélas, l'article est assorti de commentaires consternants, qui montrent à quel point certains esprits obtus pouvaient, à l'époque, passer à côté des innovations venues d'Amérique.
Pourtant, combien de ces inventions font aujourd'hui partie de l'équipement de série de nos voitures ! Citons quelques exemples : sièges chauffants, air conditionné, réglage électrique du siège conducteur, affichage digital au tableau de bord, etc. Au début des années cinquante, nombre d'entre elles font de Le Sabre une voiture d'extrême avant-garde - surtout en Europe. Ainsi en est-il de la capote et des vitres latérales, qui se ferment automatiquement à la première goutte d'eau grâce à un capteur d'humidité logé dans la console. Le système fonctionne même si la voiture se trouve en stationnement (moteur coupé). De même, en cas de crevaison, quatre pompes hydrauliques commandées au tableau de bord permettent de lever la voiture pour changer la roue.
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Au titre des éléments précurseurs dont la voiture peut également s'enorgueillir, Le Sabre intronise le pare-brise panoramique - il sera repris en 1953 sur la fameuse Cadillac Eldorado -, dont les courbes sont prolongées par des vitres latérales bombées. Ainsi protégés, les passagers peuvent s'adonner, capote baissée, aux plaisirs de la conversation jusqu'à 150 km/h.
Soulignée sur ses flancs par une baguette chromée en forme de vague (destinée à alléger le ponton), la carrosserie de Le Sabre se singularise par sa fluidité et surtout par son caractère étonnamment surbaissé. Sa hauteur ne dépasse pas 1,27 mètre, capote fermée - cette dernière s'ouvre d'ailleurs à demi pour faciliter l'accès à habitacle.
Nous avons déjà évoqué la fascination d'Harley Earl pour l'aviation. Le design de Le Sabre se trouve donc sous influence aéronautique - particulièrement en cette époque qui voit le triomphe des jets à réaction. La face avant s'orne d'une petite calandre en forme de fuseau de réacteur, au sein de laquelle se cachent deux phares jumelés qui basculent en position d'éclairage. Les deux demi-pare-chocs aux butoirs agressifs seront repris sur les Cadillac de 1954.
Rare photo de la Le Sabre avec sa capote fermée (derrière :Y-Job) D.R
Calandre de la Le Sabre D.R
Et que dire de la longue poupe, au porte-à-faux de 1,33 mètre, dont la pointe est occupée par une fausse tuyère abritant les feux de stop ! Quant aux ailerons, ils portent trois petits feux en forme d'obus, qui inspireront, dans une version assagie, les Buick de 1954.
Le tableau de bord jouit d'une instrumentation pléthorique, avec une multitude de voyants et pas moins de 67 boutons, tous dotés d'éclairages qui transforment l'habitacle en un vrai sapin de Noël…
La carrosserie de Le Sabre fait uniquement appel aux alliages légers, tôle d'aluminium (ailes et panneaux extérieurs de portes) et fonte de magnésium (panneaux intérieurs de portes, couvercle de coffre arrière, capot moteur et joues d'ailes avant). Tous métaux qui représentent un coût de fabrication considérable.
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Conçu et développé spécialement pour la voiture sous la direction de Joseph Turlay, ingénieur en chef Buick, le moteur est un V8 super carré entièrement en aluminium (bloc et culasses) de 3524 cm3. Grâce à l'appui d'un compresseur, il délivre, malgré sa cylindrée modeste, la puissance exceptionnelle pour l'époque de 335 ch. Mais la double alimentation en super et méthanol n'est pas étrangère à ce rendement. Fonctionnant normalement au super, le moteur reçoit à haut régime (en cas de forte accélération) l'appoint de méthanol fourni par le second carburateur. Deux réservoirs type aviation prennent place dans les ailes arrière, un pour chaque type de carburant.
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La suspension antérieure retient des barres de torsion dotées d'éléments en caoutchouc, tandis que les freins à tambours, réalisés en alliage léger, sont, à l'arrière, accolés au différentiel (et non dans les roues). L'équipement ultra-sophistiqué de la voiture et la présence de 24 moteurs électriques nécessitent un circuit à la hauteur, sans parler des volumineuses batteries de 12 volts, une tension rare à l'époque.
Comme la Y-Job, la Buick Le Sabre servira de voiture personnelle à Harley Earl. Mais la belle se révélera assez capricieuse, laissant à plusieurs reprises le Vice-président de la General Motors en panne sur la route… Elle subira également quelques modifications au fil des ans. En 1952, elle reçoit deux grilles d'aération sur la face avant - qu'elle a gardées - et, plus tard, elle sera équipée d'une transmission HydraMatic à quatre vitesses. C'est ainsi qu'elle est exposée aujourd'hui au Technical Center de la General Motors.