Technique : La restauration de la carrosserie
Didier Lainé le 05/08/2005
Etat des lieux
On ne compte plus les petites annonces proposant aux amateurs de reprendre à bon compte des modèles à remonter ou dont la restauration est à finir. Ce qui sous-entend que le pire est peut-être derrière ou, a contrario, qu’il reste encore beaucoup à faire. De nombreuses voitures anciennes végètent ainsi dans l’ombre des garages à moitié terminées (ou à moitié commencées, ce qui revient au même) en l’attente d’un courageux volontaire susceptible de reprendre le chantier en cours. Généralement, le vendeur en est pour ses frais. Trop optimiste au départ, il n’a pas pu suivre l’accumulation des factures. A moins qu’il n’ait été entraîné trop loin par un carrossier peu scrupuleux ou incompétent qui n’a pas su évaluer précisément l’ampleur des travaux. De fait, la réfection d’une carrosserie ancienne met souvent à rude épreuve les bonnes volontés en vidant les comptes en banque. Mais s’il s’agit presque toujours d’une aventure à risque, on peut au moins s’efforcer de réduire la marge d’erreur en choisissant une bonne «base», c’est à dire une épave «saine» méritant d’être sauvée et pouvant l’être dans des limites budgétaires tolérables. A ce titre, rien ne vaut l’avis d’un expert ou d’un restaurateur professionnel à même d’évaluer la nature du «chantier».
D.R.
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Examen et diagnostic
Le sens de l’essentiel
Il faut le savoir : un expert n’a pas seulement pour mission d’estimer la valeur d’une voiture de collection à la demande d’une compagnie d’assurance qui en couvre la garantie en vol et incendie. Etant à même d’évaluer les travaux de remise en état à l’issue d’un sinistre (accident ou incendie), ses qualifications techniques peuvent également être mises à profit pour chiffrer de façon précise le montant d’une restauration sur une épave. Mandaté à ce titre par un particulier, ses honoraires peuvent atteindre 150€ environ (hors frais de déplacement), une dépense préalable tout à fait justifiée quand on sait ce que son diagnostic peut vous faire économiser par la suite. Un expert peut aussi se déplacer à la demande d’un carrossier professionnel qui jugerait souhaitable de faire confirmer son devis si son client hésite encore. En tout état de cause, l’homme de l’art aura toutes les bonnes raisons de prendre de telles «précautions», ne serait-ce que pour mieux plaider sa bonne foi devant le juge en cas de litige ultérieur.
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Mais, dans tous les cas, la réussite d’un chantier «carrosserie» est fondée sur une appréciation réaliste du travail à entreprendre et une confiance réciproque entre le «maître d’œuvre» et le client. Avec un budget de 12 à 15000€ environ, on peut raisonnablement envisager la réfection intégrale d’une caisse de Triumph TR4 dont toutes les zones «névralgiques» sont connues et faciles à inspecter au préalable et dont la quasi-totalité des panneaux peuvent être commandés en neuf. Autre avantage, on peut en outre séparer le chassis de la caisse sur ce modèle, ce qui facilite d’autant le travail en restauration. Un tel budget ne suffira en aucun cas s’il s’agit de refaire une Maserati 3500 GT Touring à carrosserie alu. Outre que sa conception structurelle (faisant appel à un squelette multi-tubulaire) apparaît très complexe, le traitement de ses panneaux en alliage léger s’avère infiniment plus coûteux, sans compter que les stocks de pièces sont aujourd’hui épuisés. Il s’agit donc pour le client de rester lucide : nombreux sont ceux qui ont rêvé longtemps devant l’épave d’une GT millésimée avant de se résoudre à passer la main…
Investissement à long terme
Le marché de la voiture de collection étant ce qu’il est aujourd’hui, l’amateur disposant d’une somme correspondant à la cote «haute» du modèle qu’il convoite est fondé à rechercher en priorité un exemplaire parfaitement restauré voici quelques années. Sauf exception, le prix payé sera toujours inférieur au budget global investi par le vendeur. Il pourra en outre profiter immédiatement de son acquisition en se souciant seulement de son entretien courant. A la fin des années 80, l’emballement spéculatif des cotes a incité de nombreux amateurs à s’offrir le «grand jeu» en restauration, la plus-value réalisée à la revente compensant largement le budget investi. A l’heure actuelle, les cotes n’évoluent plus de façon aussi rapide et le marché regorge de modèles intégralement refaits qui ne demandent qu’à rouler. Cette conjoncture n’est pas de nature à faciliter le travail des restaurateurs.
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Mais, aujourd’hui encore, de nombreux chantiers sont en cours d’exécution, ce qui témoigne d’une confiance retrouvée dans l’avenir de ce marché particulièrement sensible à la conjoncture économique. Oscar Lefebvre, responsable de l’ Atelier des Coteaux le confirme, il existe toujours une clientèle disposée à payer le juste prix d’une restauration dans les règles sur une Facel Vega HK 500 ou une Lancia Flaminia Touring : «Ce genre de chantier résulte d’une volonté certaine du client qui engage un investissement à long terme. Les pièces de carrosserie étant quasiment introuvables en neuf pour ce genre de modèle, les heures de main d’œuvre s’en trouvent multipliées et le devis n’a rien de comparable à celui qu’on peut envisager pour une Jaguar E qui revendique pourtant une cote supérieure. Mais il faut savoir qu’une Facel Vega traitée aujourd’hui contre la corrosion pourra tenir plus de 20 ans sans intervention majeure. Mais au delà de l’aspect «placement», on peut comprendre que certains amateurs aspirent maintenant à rouler dans une voiture d’exception refaite à neuf et beaucoup plus durable que son constructeur ne l’a jamais espéré…».
Les inconnues du chiffrage
Certaines évidences sont bonnes à rappeler lorsqu’il s’agit de refaire une carrosserie. La disponibilité des pièces en neuf est, bien sûr, à prendre en compte, tout comme leur prix moyen. De même que l’évolution perceptible de la cote du modèle sur le marché. Aujourd’hui, on constate ainsi une forte demande sur les Alpine A 110. De quoi inciter certains amateurs hésitants à faire refaire la caisse de leur berlinette en recourant au savoir-faire des meilleurs spécialistes. Un investissement judicieux qui pouvait encore prêter à discussion voici dix ans.
Autre «évidence biblique» : plus la surface à traiter est importante, plus long sera le travail. Refaire la caisse d’un Spider Alfa Romeo Giulietta demande évidemment moins d’heures de main d’œuvre que celle d’un cabriolet Cadillac Eldorado 1958. Mêmes causes et mêmes effets quand on compare les modes de construction. Une caisse monocoque est logiquement plus difficile à traiter qu’une caisse montée sur un châssis séparé. Le nombre de renforts, la configuration des corps creux, la présence ou non de tôles doublées contribuent également à faire grimper sensiblement l’addition. Sans oublier le galbe prononcé de certains panneaux, leur matériau (tôle d’acier, tôle d’alu ou fibre de verre ?), leur relief et leur mode d’assemblage (par vissage ou par soudure). Autant de critères déterminants qui imposent un examen approfondi de l’épave à traiter en présence du client. Un professionnel sérieux ne s’engagera d’ailleurs sur un devis qu’après avoir pris le temps de procéder à toutes les constatations d’usage. Et son devis devra être suffisamment détaillé pour laisser au client matière à réfléchir.
Plusieurs options sont ainsi concevables lorsqu’on aborde la question de la mise en peinture. Le type de produits utilisés et le nombre de couches peuvent être discutés, ce qui conditionne en grande partie le montant de la facture finale. Peinture synthétique, acrylique (en brillant direct), métallisée vernie ou polie-lustrée ? Le choix est vaste et le résultat bien différent. La qualité du produit retenu est évidemment tributaire du budget. Une peinture synthétique s’accommode d’un minimum de couches et son temps de séchage est très réduit. En une heure, on peut repeindre une caisse entière en brillant direct. A l’inverse, une peinture polie-lustrée demandera souvent plus de 150 heures de pistolages minutieux répartis sur plus d’une quinzaine de couches. La différence est toutefois significative : entre «peau de pêche» et miroir parfait, le client doit pouvoir constater où passe son argent. C’est une question cruciale : le budget «peinture» peut en effet représenter plus de 30 % de la facture globale.
Contrat de confiance
Reste que la plus belle des peintures ne se conçoit que sur une surface impeccable et donc, des fonds soigneusement préparés. Ce qui se chiffre le plus souvent en centaines d’heures de décapage ( à 40 ou 45€ de l’heure selon les ateliers… ), de découpage, de redressage, de soudures, de ponçage, et d’ajustements pointilleux avant de passer à l’application des produits phosphatants anti-corrosion. Un vrai casse-tête pour un carrossier même expérimenté qui devra évaluer la durée du travail poste par poste en limitant sa marge d’erreur (10 ou 15 % au maximum, telle est la norme que s’impose notamment la Carrosserie Lecoq) s’il ne veut pas faire fuir le client.
Et il lui faudra encore se montrer persuasif lorsque le moment sera venu de choisir la couleur. Du noir au blanc pur, on passe d’un extrême à l’autre, en effet, et le coût final dépend aussi de la nuance retenue. Sans oublier l’entretien ultérieur : une carrosserie refaite en noir ne supporte pas la moindre imperfection et il est souvent hasardeux de reprendre un simple éclat ou une rayure prononcée sans devoir repeindre la totalité du panneau. Le client doit en être informé au préalable.
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Enfin, rien n’est plus déstabilisant qu’un professionnel qui refuserait de s’engager sur un délai d’exécution. Ce qui était couramment toléré voici dix ou quinze ans ne l’est plus aujourd’hui. On peut là encore admettre une marge d’erreur d’un ou de deux mois sur un chantier «difficile» mais un dépassement excessif révèle toujours un sérieux manque d’organisation du maître d’œuvre. En principe, le délai d’exécution doit toujours figurer dans le devis initial. Lequel doit également mentionner le mode de paiement : de nombreux professionnels optent aujourd’hui pour un règlement échelonné ( par mois ou par trimestre ), ce qui leur permet de mieux gérer leur trésorerie et représente pour le client un effort financier plus «digérable».
Comme tout professionnel de la réparation, un carrossier est tenu à une «obligation de résultat». En s’engageant sur un devis précis, ce dernier s’engage sur l’avenir et fait jouer sa responsabilité de maître d’œuvre. Raison de plus pour écarter résolument le travail au noir qui coûte toujours moins cher au départ mais souvent beaucoup plus à l’arrivée lorsqu’on fait ses comptes devant un chantier inachevé pour cause d’incompétence...